Chahed à la Kasbah : une fuite en avant

 Chahed à la Kasbah : une fuite en avant

Youssef Chahed aux côtés de Hafedh Caïd Essebsi


Quatre jours seulement après le vote de défiance à l’encontre d’Habib Essid, Youssef Chahed a donc été bombardé futur chef de gouvernement. La rapidité de la désignation de ce proche de Béji Caïd Essebsi a surpris les observateurs et pris de court certains partis participant aux pourparlers. L’homme part avec plusieurs handicaps, dont la proximité familiale avec le président qui sera difficile à faire oublier. 




 


Relativement confiant, le fraîchement investi Youssef Chahed a enchaîné avec sa première conférence de presse. En suivant le discours de cet inconnu dont la plupart des Tunisiens découvraient la voix, plusieurs constats s’imposent.


Comme Essid dont il était le ministre, Chahed place « la lutte contre la corruption et les corrompus » en deuxième position de ses priorités, après la lutte contre le terrorisme.


Caustique, l’ex présidente de l’ONG Al Bawsala l’a pris au mot :


« Je suis tellement heureuse et soulagée pour mon pays ! Youssef Chahed mets la lutte anti-corruption comme priorité de son gouvernement. Je conclus donc que sa première action va être de retirer la loi de blanchiment des corrompus aussi connue comme la loi de réconciliation économique du parlement. Ça c'est vraiment du courage, du patriotisme et une nouvelle manière de gouverner ! J'ai hâte de voir tout ça ! ».


Plus sérieusement, l’accueil béat d’une partie des médias de la place est préoccupante. Ainsi Zied Krichen, rédacteur en chef de Mosaïque FM, plus grande radio nationale en termes d’audience, s’est félicité du fait que « Chahed est un fils de bonne famille, rassasié », qui ne peut donc pas avoir d’ambitions personnelles ni s’enrichir.


Le même type de raisonnement avait été fait en 2014, lorsque certains avançaient à propos de l’actuel président que « c'est un homme âgé, qui ne peut pas avoir d'ambitions personnelles à son âge ».


 


Une désignation autoritaire


Sur la forme, tout indique que la promotion de Chahed est une décision prise depuis belle lurette. Sa nomination expédiée porte en effet la signature du style Essebsi, assez méprisant pour ses partenaires politiques théoriques, qui n’auront finalement été qu’ornementaux dans ce qui a fait office de simulacre de pourparlers.


La veille du 3 août, Imed Hammemi d’Ennahdha annonçait que son parti a « accepté la proposition du président de nommer Youssef Chahed », probablement une façon de sauver la face et oublier le fait qu’Essebsi n’a même pas daigné attendre par politesse le Conseil de la choura, censé étudier la question le même jour.  


De son côté al Machroû, le parti de Mohsen Marzouk, a dans un communiqué implicitement indique avoir claqué la porte du dialogue multipartite, considérant que la nomination de Chahed enfreint l’un des prérequis du dialogue qui stipulait que le gouvernement d’union nationale ne pourrait avoir à sa tête une personnalité issue d’un parti politique. Les deux partis d'opposition, al Joumhouri el al Chaab se sont également retirés du dialogue.


Ce n’est pas la première fois que Youssef Chahed est imposé de cette façon. En novembre 2015, il est désigné par le président de la République comme chef d’un éphémère « conseil des treize », censé sauver Nidaa Tounes de la désintégration, et ce dans un discours télévisé ou le président est sorti de la réserve que lui impose la Constitution.  


11 mois seulement après avoir été secrétaire d’Etat à la pêche, en bas de l’échelle du protocole gouvernemental, il fait l’objet d’une ascension fulgurante, promu ministre des Affaires locales, tout en haut de l’échelle gouvernementale, placé juste après les ministères régaliens, un ministère créé et conçu sur mesure pour lui. Il n’y aura dons passé que 6 mois, avant d’être propulsé numéro 1 de l’exécutif.


Dans son discours d’investiture, Chahed a salué la confiance du président en la jeunesse du pays au travers de sa nomination. Un peu court cependant l’argument de la jeunesse ? On peut d’ores et déjà imaginer le climat de travail avec un "quadra" à la Kasbah : quelle autorité aura Chahed du haut de ses 40 ans sur des ministres vieux de la vieille comme par exemple Jelloul ou Jhinaoui ou d’autres encore, s'il choisit de les reconduire ? Sans grande légitimité ni politique ni militante, sera-t-il vraiment pris au sérieux dans l’exigeante Tunisie post révolution ?


La réussite moins par méritocratie que comme valeur de la technocratie issue du monde de l’entreprise ? Toujours dans le discours d’investiture visiblement préparé de longue date et portant les indices d’un encadrement par une grande boite de communication, nous avons eu droit aux formules fleuves telles que « Nous pouvons réussir » ou encore « la Tunisie a l'obligation de réussir »…


Dans ce nouveau régime présidentiel qui se dessine, une fois le strapontin de la Kasbah sécurisé, il se peut que nous nous dirigeons vers un simple jeu de chaises musicales, avec un « gouvernement Essid, sans Essid ».Ainsi il est peu probable que nous verrons le départ de Selma Elloumi, Néji Jalloul, et autres ministres Nidaa Tounes, qui ont de fortes chances d’être reconduits avec d’autres portefeuilles. Réponse certainement avant la fin du mois d’août.


 


Seif Soudani