Célébration du Nobel : une cérémonie confisquée ?
L’heure est aux comptes après le tollé provoqué lundi suite au monopole accordé à Nessma TV par la présidence de la République pour la couverture exclusive des festivités du Nobel de la Paix. Le SNJT qui s’était retiré, la HAICA, et la présidence de la République y sont chacun allé de leurs communiqués respectifs pour donner leur version. Pour autant la polémique n’est pas retombée. Explications.
D’un point de vue institutionnel, l’affaire est l’occasion d’une jurisprudence démocratique intéressante, où le président de la République subit la double condamnation officielle du Syndicat des journalistes tunisiens et de la Haute autorité indépendante de la Communication audiovisuelle.
Une communion populaire entachée de clientélisme
Dans sa défense via un communiqué laconique publié mardi 10 novembre, le département communication du Palais affirme en réalité ce qu’il tente d’abord de démentir, en apportant simplement une nuance à ce que la plupart des observateurs sont unanimes pour qualifier d’abus de pouvoir et de conflit d’intérêts. « Il s’agissait pour nous d’exploiter les moyens techniques et logistiques de la chaîne, la diffusion était ouverte à tous les médias audiovisuels, informés de cela par courrier un jour auparavant », peut-on y lire.
En clair, la présidence ne nie donc pas avoir accordé qu’un unique signal, fourni par Nessma TV, aux concurrents de la chaîne. Chose que ces derniers n’ont logiquement pas apprécié, y compris la chaîne nationale al Wataniya, censée assurer la couverture de ce type de rendez-vous nationaux.
La condamnation émanant de la HAICA est sans appel : elle considère que « cette décision émise par la présidence de la République contrevient aux principes de transparence et de concurrence loyale entre les diverses institutions du secteur », ainsi qu’une « atteinte à la liberté et à la ligne éditoriale de ces médias », tout en dénonçant « l’exclusion des médias du secteur public ».
Pour sa part, le bureau exécutif du SNJT, qui dit avoir constaté l’interdiction d’accès des autres médias, étudie toujours avec des juristes la possibilité d’engager des poursuites judiciaires contre le président Béji Caïd Essebsi, qu’il accuse plus généralement d’avoir « fermé la porte du Palais de Carthage aux médias depuis son accession au pouvoir, dans le souci d’orienter les journalistes vers son plébiscite, en adoptant les mêmes pratiques que celles de l’ancien régime despotique ».
Une cérémonie à la gloire du président
Outre le passe-droit accordé à Nabil Karoui, un proche de Nidaa Tounes, des choix discutables et autres fausses notes ont émaillé la cérémonie.
Dès l’annonce du prix Nobel de la paix en octobre dernier, la présidence fut critiquée pour avoir tenté de tirer à elle la couverture du mérite politique du prix, lorsqu’Essebsi s’était prévalu d’avoir sollicité par courrier plusieurs mois à l’avance le comité du Nobel afin d’attirer son attention sur le « modèle tunisien ». Ainsi dans le droit fil de cette logique d’autosatisfaction, une entrée triomphale fut réservée hier au président et à lui seul dans un premier temps.
Comme pour s’approprier davantage l’évènement, le protocole a exigé que pendant de longues minutes d’ouverture soient récités par haut-parleur des versets du Coran, mais pas n’importe lesquels : les versets favoris du président, devenus sa marque de fabrique tant il les martèle à toutes sortes d’occasions, portant sur la bienveillance que Dieu aurait insufflé dans le cœur des croyants afin qu’ils aboutissent à la réconciliation et au consensus…
Un choix religieux que l’on a davantage l’occasion de vivre dans des funérailles que dans des célébrations.
Annoncé en grande pompe par le speaker qui énonça une fonction inexistante de « président de l’UGTT », le secrétaire général de l’UGTT lauréat du prix a remis les pendules à l’heure, en profitant de la tribune pour pimenter quelque peu ces solennités mondaines. Dans son allocution, Houcine Abbassi a rappelé que la fête ne saurait être complète, la faute à des négociations sociales au point mort avec le patronat de l’UTICA, autre lauréat du Nobel, qui refuse une augmentation des salaires du secteur privé.
S.S