Tunisie. Carthage s’en prend aux banques privées
Non content d’avoir récemment mis fin en pratique à l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie, le président Kais Saïed a convoqué le 12 février un représentant patronal des banques privées tunisiennes pour lui formuler une liste de doléances qui sonnent comme autant d’instructions. Le plus grand établissement bancaire du pays s’est d’ailleurs aussitôt exécuté.
Ce n’est pas la première fois que Saïed brise la glace de l’interventionnisme de l’exécutif dans le secteur privé, un exécutif dont il détient toutes les rênes ayant les pleins pouvoirs depuis juillet 2021. Mais cette fois le ton employé démontre qu’il s’impatiente en cette année électorale où il a visiblement à cœur de concrétiser son grand chantier des fameuses « entreprises communautaires » qui peinent à montrer une réelle efficacité économique. Certains observateurs notent que, ironiquement, des banques privées sont appelées à soutenir un projet idéologique qualifié par ses détracteurs de collectiviste et archaïque, voire de « cypto communiste ».
« Une implication plus poussée des banques, privées et publiques, ainsi que des établissements financiers dans le soutien de l’économie nationale », telle est la formulation de l’exigence fleuve du communiqué de la présidence, à la suite du tête-à-tête lundi entre le président de la République et le président du conseil bancaire et financier (CBF), Néji Ghandri. « Une telle implication devrait nécessairement procéder des choix et orientations du peuple tunisien et non des diktats émanant d’une quelconque partie étrangère », renchérit le texte à la teneur hautement souverainiste, populiste, et anti capitaliste.
En clair, Saïed met la pression sur les banques pour accorder, comme le mentionne explicitement le même communiqué, des crédits à des conditions avantageuses au profit des citoyens qui prennent l’initiative de créer des « entreprises citoyennes » dites communautaires (« charikat ahliya »). Une forme d’entreprenariat essayé dans les années 70 y compris en Tunisie et en Egypte, sans grand succès hormis quelques projets agricoles où l’Etat confisque par la force des terres pour les redistribuer aux paysans.
Le chef de l’Etat a en outre appelé à la nécessité de supprimer les frais et les commissions « injustifiés » prélevés au titre des certains services bancaires, dénonçant à ce titre les clauses exorbitantes et excessives contenues dans un contrat de crédit qui fait que celui-ci se mue en une « forme d’extorsion » profitant à la seule volonté des institutions bancaires. Le Président Saïed a enfin exhorté les banques à « contribuer de manière significative à la réalisation des grands projets nationaux ».
La BIAT entre le marteau et l’enclume
Dès le lendemain, hier mardi, le membre du conseil d’administration de la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT) en charge des relations avec les autorités publiques, Mohamed Agrebi, s’est engagé à piloter la réalisation de plusieurs projets nationaux et à « mettre en place des mesures en ligne avec la politique de l’Etat ». Or, pour rappel, le dirigeant de ce plus grand établissement bancaire du pays, l’homme d’affaires Marouane Mabrouk, ex gendre de feu le président Ben Ali, se trouve sous les verrous depuis le 7 novembre 2023. Ce qui ressemble donc à une forme de chantage qui ne dit pas son nom fait l’objet d’une série de railleries sur les réseaux sociaux tunisiens, notamment de la part de l’opposition, qui reprochent à la banque de céder de façon grossière aux requêtes du pouvoir.
Montrant pâte blanche, les engagements de la BIAT s’articulent comme suit : restauration complète de la piscine municipale du Belvédère ainsi que ses annexes, restauration complète et la rénovation du Centre Culturel Ibn Khaldoun à Tunis, soutien aux élèves et lycéens issus de zones désignées par les autorités compétentes afin d’améliorer leurs conditions de scolarité. S’agissant surtout des engagements bancaires et financiers, la BIAT dit avoir entrepris la mise en place d’un dispositif d’accompagnement à la création de sociétés communautaires, via un financement de ces sociétés avec un taux d’intérêt égal au taux du marché monétaire (TMM) et « l’organisation d’ateliers de travail dans tous les gouvernorats de la Tunisie pour étudier les besoins spécifiques des promoteurs de sociétés communautaires et les modalités pratiques de leur accompagnement, en coordination avec les autorités concernées ».
Cela sera-t-il suffisant pour faire libérer son patron ? Rien n’est moins sûr. Dans les coulisses des entreprises détenues par le groupe Mabrouk dont l’opérateur Orange, il se murmure que ces dernières auraient réuni la bagatelle de 600 millions de dinars, soit 60% de la somme d’1 milliard requis en guise de caution sur les 3 milliards que lui réclame le pouvoir.
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