Tunisie. Carthage cherche-t-il à baisser la tension avec les Etats-Unis ?
Quelques jours auparavant, la tension avait atteint un plus haut historique entre les deux pays. Mais dimanche 21 août, le ton était à une réconciliation de façade entre une délégation du Congrès US et le président Saïed. Derrière les sourires de circonstance, le fond du contentieux demeure en réalité inchangé.
La Tunisie évoquée lors d’un meeting militaire par un général secrétaire d’Etat à la Défense en exercice, au même titre que certains « rogue states » d’antan, cela était impensable il y a encore quelques mois. C’est bien à ce niveau d’escalade verbale et diplomatique que se trouvaient encore début août les relations tuniso-américaines.
Néanmoins dès le 12 août dernier, le ministre des Affaires étrangères recevait la chargée d’affaires à l’ambassade des États-Unis en Tunisie, Natasha Franceschi, cette fois non plus convoquée en guise de protestation mais pour aborder, tout sourire, notamment l’invitation du président Saïed à Washington pour prendre part au Sommet des leaders africains qui se tiendra du 13 au 15 septembre prochains. Il y a lieu de penser que ce premier pas vers un abaissement de la tension était aussi un prélude, l’occasion de préparer la visite hier dimanche d’une délégation bipartisane du Congrès américain au Palais de Carthage.
Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu le président Kais Saïed esquisser le moindre sourire. Même à l’occasion de la promulgation en solitaire de « sa » Constitution le 17 août courant, celle de la « Nouvelle République », le chef de l’Etat est apparu visage fermé, acrimonieux dans ses virulentes paroles à charge à l’encontre de la magistrature. En ce jour censé revêtir un caractère cérémonial, le président, furieux, a reproché aux juges administratifs d’avoir eu l’audace de contester une décision « du pouvoir constituant » (dont il est l’incarnation auto-proclamée) qui transcende tous les pouvoirs.
La rhétorique présidentielle ne bouge pas d’un iota
Les poignées de main détendues dimanche avec ses cinq hôtes d’outre Atlantique n’ont cependant pas tardé à être supplantées par un retour aux mises en garde souverainistes. On peut en effet lire dans un communiqué publié cette nuit que l’entretien a porté sur « les campagnes mensongères menées par certains individus dont l’appartenance et les orientations sont connues, dans le but de dissimuler des pratiques ayant eu lieu durant la dernière décennie et ayant provoqué la dégradation de la situation sociale et économique ».
Ceci est un leitmotiv de la présidence Saïed : les occidentaux se fourvoient selon Carthage et sont victimes d’un lobby propagandiste qui n’est jamais expressément nommé (allusion au pouvoir post révolution en Tunisie, et donc par extension les islamistes). Le Palais pense donc le plus sérieusement du monde corriger les informations erronées des services et des chancelleries occidentales qu’il s’agit d’éclairer…
La même source indique ensuite que le président tunisien, pédagogue, a « rappelé à la délégation américaine les principes du droit international consacrés par la Charte des Nations Unis ». Ainsi Saïed cite « le principe de souveraineté des Etats et celui de leur égalité ». Tout comme il a mentionné « le principe de non-ingérence dans les affaires d’un pays ».
Il est par ailleurs revenu sur « les récentes déclarations de certains responsables américains et a affirmé qu’elles n’étaient, en aucun cas, acceptables ». « Le peuple est détenteur de sa souveraineté et de son indépendance. Or, ce dernier a exercé ce droit lors du référendum du 25 juillet 2022 ». En clair, il réaffirme qu’il est le maître des lieux, mandaté en cela par « le peuple », qui pourtant n’a participé qu’à hauteur de 30% au référendum en question.
« Seuls ceux à qui la dernière décennie a bénéficié regrettent cette période-là », renchérit Kais Saïed. Il a à ce sujet rappelé « la prolifération des détournements de fonds et la défaillance des établissements publics durant cette période », sous-entendant l’éradication de la corruption sous son règne.
Sur un ton tout aussi docte, le président de la République conclut que « la démocratie est un esprit avant d’être des institutions ». Il a assuré que celle-ci « ne pouvait se réaliser que dans le cadre d’une justice sociale, d’un système judiciaire indépendant et d’une égalité devant la loi ». Les parlementaires US apprécieront d’autant plus qu’aucune de leurs déclarations n’a été relayée.
Pendant ce temps-là, l’avancement de la requête tunisienne auprès du Fonds monétaire international patine : une réunion qui devait se tenir le vendredi 19 août entre la présidence du gouvernement et la direction de la centrale syndicale UGTT a été annulée à la dernière minute. La veille, le gouvernement a demandé son report sine die. Une occasion ratée d’assainir le climat social, précisément une demande du FMI comme prérequis à l’entame des négociations en vue d’obtenir un nouvel emprunt déterminant pour l’économie exsangue du pays.
Sur sa page officielle, l’ambassade des Etats-Unis fournit de son côté le compte-rendu des déclarations des sénateurs et députés US « inquiets pour la trajectoire que prend la démocratie tunisienne et appelant à inclure les autres intervenants politiques du pays »