Campagnes de propreté : vertus et limites d’un élan citoyen

 Campagnes de propreté : vertus et limites d’un élan citoyen

Photo Yassine Gaidi


Point culminant d’une vaste campagne de propreté nationale, la journée d’hier dimanche 20 octobre a connu un pic de mobilisation citoyenne. Cependant, aussi salutaire soit-il, le mode d’action bénévole aux allures d’autogestion présente des limites certaines.


Baptisée « Journée nationale du coup de balai », la campagne, largement relayée par une multitude de groupes d’internautes sur les réseaux sociaux, est indissociable du mouvement « dégagiste » qui a accompagné le succès électoral de Kais Saïed, président fraîchement investi qui prêtera serment ce mercredi 23 octobre au Parlement.


Ainsi pour l’activiste franco-tunisienne Nadia Tarhouni, « l’élection du nouveau président a indéniablement changé quelque chose : probablement la force du ressenti d’avoir un président représentatif et voulu par une majorité. Il n’y a pas si longtemps nous étions terrifiés et aujourd’hui il se passe quelque chose. Ces mouvements de réappropriation de l’espace publique sont importants et positifs… laissez tomber le scandale de la peinture, elle partira avec le temps ! », se félicite la jeune femme, tout en faisant allusion aux pavés de la Médina repeints pour l’occasion par des participants probablement un peu trop enthousiastes.  


Ce weekend, l'Association de Sauvegarde de la Médina (ASM) a en effet lancé un cri d'alerte concernant ce qu’elle a qualifié « d’initiatives mal encadrées qui passent outre le fait que la Médina de Tunis est classée dans la liste du Patrimoine Mondial et que toute opération urbaine doit être étudiée afin d'aboutir à des résultats en adéquation avec ce statut. » Depuis, l’Institut national du patrimoine est intervenu en urgence pour restaurer la couleur noir volcan originelle si caractéristique des pavés en question.


 


Signalisation de la vertu ?  


Visibles dimanche dans les rues des 24 gouvernorats du pays, dans une ambiance festive et bon enfant, les milliers de Tunisiens et d’activistes de la société civile qui se sont engagés dans des actions de nettoyage, armés de sacs en plastique, de gants et divers outils de fortune, ont été rejoints dans cet élan dans certaines places publiques par quelques agents municipaux et des forces de l’ordre.


L’objectif écologique est naturellement louable : en finir avec la pollution et les déchets ménagers qui envahissent le pays ces dernières années faisant de certains quartiers des décharges à ciel ouvert. En 2014, le phénomène avait même été utilisé électoralement par le camp hostile au pouvoir post révolution qui l’a qualifié de « saleté temporaire ».  


Mais la campagne a aussi ses détracteurs. Ils lui reprochent notamment le « signalement moral » qui lui est inhérent, une expression qui désigne un ensemble de comportements sociaux utilisés par l'émetteur pour se décrire publiquement ou implicitement, comme une personne ou une organisation vertueuse. Cette pratique, facilitée par les réseaux sociaux, peut également être utilisée pour discréditer, par contraste, des personnes ou des organisations. Elle est connue, dans les pays anglo-saxons sous l'appellation de "virtue signalling", traduit aussi par "vertu ostentatoire".


Si cet aspect de la campagne de propreté reste subjectif selon les appartenances politiques des uns et des autres, certains reprochent aussi aux campagnes de propreté répétées de se substituer au rôle de l’Etat et des collectivités locales, à qui les citoyens payent des impôts locaux, en plus d’autres charges prélevées par l’Etat.


De fait, si l’engouement citoyen ne trouve pas de prolongement au sein des autorités municipales et surtout de moyens conséquents, tout ceci relèvera du vœu pieu et circonstancié. Sociologues et anthropologues observent ainsi que, loin d’être un comportement improvisé ou soudain, le civisme, aussi relatif qu’il soit, reste tributaire d’un processus long et n’est perpétué que par l’effet de la prospérité économique des nations et des peuples.  


 


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