Campagne anti violences faites aux femmes : un flop de communication ?

 Campagne anti violences faites aux femmes : un flop de communication ?


Les Tunisiens se sont réveillés le 22 novembre 2017 découvrant dans les rues une campagne d’affichage urbain de sensibilisation contre le harcèlement et la violence contre les femmes. La thématique est censée rassembler, mais la campagne est pourtant loin de faire l’unanimité : à la sensibilité du sujet les communicants ont ajouté l’ambiguïté des second degré…



Un spot vidéo accompagne également la campagne d'affichage urbain


Le lendemain, jeudi, les commentaires autour de la campagne occupent encore les réseaux sociaux. Sur les affiches en question, on peut voir une femme de dos avec un énoncé et une réplique en guise de réponse dans une bulle. Cette dernière, censée représenter la banalisation d’une certaine mentalité, une misogynie déclinée en harcèlement au travail, agression ou encore violence conjugale. Ainsi peut-on lire en arabe dialectal : « Une femme qui se fait violenter devant ses enfants ? Il faut bien se satisfaire de la pérennité du foyer ». « Une femme qui se fait harceler au travail ? « Eh bien certains n’ont même pas de travail ! ». « Une mineure se fait agresser… Elle oubliera en grandissant », « Une femme se fait tabasser par son mari ? C’est son destin ! », etc.

 



 


« De mauvais goût »




Dans la rue autant que sur le net, c’est l’incompréhension qui prime : au mieux passants et internautes affichent du scepticisme, au pire de l’acquiescement ou de l’indignation. Et c’est précisément sans doute en partie l’effet désiré.


Mais a-t-on réellement atteint le public cible ? L’écueil classique sur lequel butent encore une fois certaines ONG, en l’occurrence l’UNFPA, ne consiste-t-il pas en une approche élitiste inaudible qui surestime le QI moyen ?  




Pas pour une collaboratrice de la campagne, qui commente : « C'est très bien qu'on commence à s’inspirer des campagnes internationales. C'est la mise en évidence de l'ancrage comportemental et de la déformation intellectuelle acquise socialement. C'est de la sensibilisation par condamnation et par ce qu'on appelle la stratégie du choc publicitaire. C'est ce qu'il faut pour la communication liée aux questions sociétales en Tunisie. Ce type de choc publicitaire met en exergue la banalisation d'un phénomène comportemental ou sa socialisation. La justification de la violence envers la femme dans son lieu de travail ou dans son parcours vers son travail peut être un des sujets. Je pense que c'est un teasing et que le reveal viendra asseoir le message. C'est comme ça que ça se fait aux USA ou en Europe et j'espère que ça sera bien appliqué en Tunisie aussi, généralement pour une telle campagne ça dure entre 3 jours et une semaine, dès que la polémique fait le ''buzz'', il y aura la révélation du message ou la mise en évidence d'une statistique alarmante ».


 


« Guerre des sexes »


Un hashtag créé par les marketeurs accompagne la campagne : « #Faddina » (« Y en a marre ! »). Le moins que l’on puisse en dire est qu’il manque de créativité, précisément en Tunisie où chaque campagne sociétale de ce type a recours au même lexique stéréotypé du ras-le-bol, depuis « #A3ta9ni » (lâche-moi !) en 2011.


Au moment où ce que certains qualifient de « révolution féministe » internationale et d’autres, plus réservés, de « tsunami » qui ne se soucie pas de briser quelques carrières sur son passage, le matraquage de ces messages dans un paysage urbain déjà saturé par un climat anxiogène prend également le risque de lasser, la faute à une certaine prévisibilité.


En Occident, des voix commencent à s’élever, pas seulement dans les milieux masculinistes de la « manosphere », pour dénoncer un sombre futur fait de ségrégation entre les sexes, du fait de la crainte du moindre faux pas. Dans les grandes entreprises américaines, les témoignages se multiplient rapportant des cas de hauts responsables refusant désormais de se retrouver en situation de tête à tête avec le sexe opposé, par crainte de fausse accusation de harcèlement.


Certains ironisent enfin sur la perspective selon laquelle la quatrième vague féministe pourrait aboutir de facto à « une charia » puritaniste qui trouverait, sans le vouloir, des recoupements avec une forme de pudibonderie.


En attendant le « reveal » de la campagne tunisienne, la polémique locale pousse en tout cas légitimement à s’interroger sur la pertinence du choix du second degré, alors même que le premier degré en la matière n’a manifestement pas encore été suffisamment assimilé.  


 


Seif Soudani       


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