Caïd Essebsi, patriarche affaibli mais pas à bout de souffle
Sa dernière prestation télévisée remontait au 15 juillet. Cette fois le nonagénaire a tenu à ce que l’entretien d’hier soir lundi se fasse en direct et en prime time. En se montrant à la fois ferme politiquement, mais impuissant institutionnellement, Béji Caïd Essebsi a lors de cette sortie médiatique creusé un peu plus la crise au sommet de l’Etat.
« La campagne électorale a malheureusement commencé 2 ans en avance ! », a regretté le chef de l’Etat, entrant d’emblée dans le vif du sujet à propos de celui qui est passé ces derniers mois du statut de jeune protégé à celui de rival, Youssef Chahed, au sein de ce qui s’apparente désormais à une étrange cohabitation.
Avec Ennahdha, la rupture est consommée
Seul sujet sur lequel le président de la République n’aura fait preuve d’aucune ambiguïté : l’annonce de la révocation définitive du consensus avec Ennahdha. « Après cinq ans de consensus depuis la rencontre de Paris, le Mouvement Ennahdha a décidé la semaine dernière d’y mettre fin. Il n’y aura plus désormais de consensus entre Caïd Essebsi et Ennahdha », s’est-il exclamé, précisant qu’il s’agit là de la volonté de ses anciens alliés au pouvoir, tout en leur souhaitant « bonne chance dans la voie qu’ils ont choisie », non sans le flegme qu’on lui connait…
« Je m’étais pourtant mis à dos mon électorat avec cette alliance, au nom de l’intérêt national », rappelle-t-il avec amertume. L’avenir proche nous dira quelles conséquences aura cette rupture nette avec les islamistes tunisiens qui, s’ils ne réussissent pas à recomposer une coalition avec d’autres modernistes locaux, s’exposeront sans doute à un certain ostracisme à l’échelle de la région MENA.
Un président visiblement soucieux de son image et de sa pérennité
Se sachant manifestement scruté à l’étranger, notamment par les chancelleries occidentales qui sont autant de bailleurs de fonds de la Tunisie, Caïd Essebsi n’aura ni annoncé un report des élections, ni souhaité un amendement constitutionnel durant son mandat.
« Il n’y aura ni de report des élections, ni des élections anticipées, tant que je serai vivant ! » a-t-il promis avec véhémence, lui qui est chargé de signer le décret appelant les électeurs au vote avant chaque scrutin national.
Il a ainsi coupé court aux rumeurs de report des élections de 2019 à 2020 voire 2021, une éventualité qui reste néanmoins d’actualité tant qu’une nouvelle loi électorale n’aura pas été votée, et surtout en l’absence de Cour constitutionnelle, seule habilitée à trancher les futurs différends électoraux.
« Qu’ils s’en aillent tous les deux ! »
« S’ils venaient à s’en aller tous les deux, la Tunisie ne s’en porterait pas plus mal ! », a pesté Béji Caïd Essebsi, appelé plusieurs fois par la journaliste Mariem Belkadhi à prendre position sur le blocage causé par le maintien de son fils Hafedh Caïd Essebsi à la tête du parti Nidaa Tounes.
C’est la première fois que le président offre ainsi publiquement une porte de sortie aux deux frères ennemis, en suggérant explicitement qu’il est prêt à renoncer à son fils si le chef du gouvernement venait à démissionner.
Mettant à nouveau la pression sur le locataire de la Kasbah, Caïd Essebsi a toutefois réitéré son souhait que Chahed affronte l’Assemblée des représentants du peuple pour requérir un vote de confiance rappelant qu’il gouverne aujourd’hui « sans aucune légitimité ». Une affirmation cela dit discutable, Youssef Chahed pouvant considérer qu’il a de facto obtenu cette confiance de façon indirecte, via le récent vote de confiance que les députés ont accordé à son nouveau ministre de l’Intérieur.
S’il n’a préféré ne pas recourir « pour l’instant » aux dispositions de l’article 99 qui lui confère le pouvoir de contraindre Chahed à se présenter à l’Assemblée, il apparaît difficile pour le chef de l’Etat d’envisager un tel scénario avant la fin de son mandat, dans à peine 14 mois. Une situation inextricable qui enfonce un peu plus le pays dans l’incertitude.
Seif Soudani