Billet. Une conception très particulière des Droits de l’Homme

 Billet. Une conception très particulière des Droits de l’Homme

Moncef Marzouki


Moncef Marzouki, un droit-de-l’hommiste à la tête de l’Etat, création d’un nouveau ministère des Droits de l’homme avec à sa tête le porte-parole du gouvernement, en Tunisie, plusieurs signaux positifs pouvaient laisser augurer d’une phase post révolutionnaire placée sous le signe des Droits humains. En pratique, il n’en est rien.




 


Un an après la révolution, la situation des droits de l’homme est pour le moins mitigée. La crise des blessés de la révolution, qui a éclaté lundi au sein même du siège du ministère des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle, vient le rappeler, crevant ainsi un abcès.


Faute d’accès aux soins, en l’absence de tout dédommagement pour certains, et après que plusieurs d’entre eux aient succombé à leurs blessures dans l’indifférence générale, quelques-uns ont occupé le ministère chargé de leur épineux dossier, pour en être chassés 48 heures plus tard, violemment d’après des témoins dont Radhia Nasraoui. Un comble pour le ministère anti torture. 


 


Des contre-sens à la pelle


Mais le ministère des Droits de l’homme n’est pas celui de la santé. Si étudier et dédommager les cas de victimes des balles et de la torture de l’ancienne dictature fait partie de sa mission, sa vocation essentielle est aussi pédagogique, sur des questions telles que la défense des minorités, la préservation des libertés et la promotion de l’universalisme.


Or, lors d’un entretien télévisé début février 2012, Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme issu d’Ennahdha, a notamment tenu des propos remarqués concernant l’homosexualité. Pour le ministre, « l'homosexualité n'est pas un droit humain, mais une perversion qui nécessite un traitement médical ».


Répondant à une question sur la naissance d'un magazine gay en Tunisie, Samir Dilou a aussi affirmé que « la liberté d'expression a ses limites. Ils (les homosexuels) ne doivent pas franchir la ligne rouge fixée par notre culture, notre religion et notre civilisation. »


Amnesty International a, dans un communiqué, exprimé son inquiétude concernant ces propos : « Ces commentaires sont extrêmement décevants, en particulier venant de la personne même qui devrait veiller à la protection des droits humains de tous les Tunisiens », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International.


 


Les islamistes d’abord


A ce contre-sens, malentendu fondamental s’agissant de la mission universaliste, répondent en revanche zèle et exemplarité dès lors qu’il s’agit du dossier des djihadistes tunisiens emprisonnés aux quatre coins du monde.


Des cadres d’Ennahdha et de son allié, le CPR, en ont fait une priorité. Houcine Jaziri (issu d'Ennahdha), secrétaire d'Etat chargé de l'immigration, a récemment déclaré à propos des 5 Tunisiens actuellement détenus à Guantánamo, qu’il s’agissait d’une « priorité nationale » et que son gouvernement a demandé avec insistance leur libération.


Le président Marzouki a déclaré pour sa part se rendre au sommet de la Ligue Arabe à Bagdad aujourd’hui jeudi avec l’espoir de libérer les détenus djihadistes Tunisiens.


En 2011, Rached Ghannouchi était personnellement intervenu auprès des autorités irakiennes pour demander la grâce d’un condamné à mort tunisien pour terrorisme sur le sol irakien.


 


L’abolition de la peine de mort, débat constitutionnel d’avant-garde, marginalisé


Aujourd’hui, le même Moncef Marzouki paraît bien esseulé au sein de son parti et de l’ensemble de la classe politique dans sa lutte, timide, pour l’abolition de la peine de mort. Hier mercredi, lors d’une conférence d’Amnesty International, la présidente de la section tunisienne de l’organisation, Sondes Garbouj, a déclaré que « La peine de mort ne sied pas à la Constitution tunisienne d’après révolution. »


Mais lorsque Sondes Garbouj est invitée à s’exprimer devant les membres de la commission des droits et des libertés à l’Assemblée constituante, sa présence est éclipsée par celle d’une autre intervenante devant la même commission : la présidente de l'Association islamiste « Liberté et Equité », connue pour être l’avocate de tous les salafistes djihadistes tunisiens accusés de terrorisme, maître Imen Trigui.


Ce qui est légitime, c’est que son intervention traite de la torture, qui continue selon elle à ce jour, de certains militants islamistes. Ce qui l’est moins, c’est qu’elle ne parlera que des droits des salafistes, en omettant de mentionner que les opposants de gauche et d’extrême gauche tunisiens furent probablement tout autant torturés et persécutés par le régime de Ben Ali.


Il est normal qu’au lendemain de la chute d’un régime perçu comme ayant réprimé la liberté de culte, les islamistes paraissent les plus à plaindre et d’autant plus dans leur droit en étant les plus sonores aujourd’hui.


Mais difficile de ne pas y voir un deux poids deux mesures, lorsque parallèlement à cela, le ministère de l’Intérieur ne voit pas de problème particulier au fait que des artistes aient été violentés par une marche salafiste (violences non reconnues par le ministère), au prétexte que leur marche de « protection du Coran » était plus importante que tout le reste d’après les salafistes.


Même si tout être humain a le droit à la dignité, quels que soient les crimes perpétrés, une politique des droits de l’homme qui ne met pas l’abolition de la peine de mort et les droits des minorités (et pas que celles des minorités d’extrême droite) au centre de sa mission, est une politique au mieux biaisée, au pire partisane.


Seif Soudani