Tunisie. Bilingue, le discours du Premier ministre devant le Parlement fait polémique

 Tunisie. Bilingue, le discours du Premier ministre devant le Parlement fait polémique

Pour son baptême du feu, sa première intervention publique hors de la Kasbah, Ahmed Hachani a prononcé une allocution le 17 novembre 2023 à l’ouverture de la séance plénière de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), consacrée à l’examen du projet du budget de l’Etat et du projet de loi de finances pour l’exercice 2024. Un discours fleuve de plus d’une heure, ponctué d’étranges confessions personnelles, loin de faire l’unanimité ni sur le fond, ni sur la forme.  

Passés les remerciements appuyés au président de la République Kais Saïed pour l’avoir, contre toute attente, choisi pour cette haute fonction, Hachani a d’abord botté en touche contre les critiques dont fait l’objet le silence gouvernemental. Un mutisme médiatique déjà de rigueur du temps de sa prédécesseure, mais qui s’est encore accentué depuis qu’il est en poste :

« Ce qui m’importe c’est l’action et la réalisation, davantage que les paroles. Beaucoup ont dit que ce gouvernement ne communique pas. Cela n’est pas vrai, j’ai déjà parlé, notamment, en Algérie, mais pour moi cela reste secondaire, parce que la Tunisie a besoin de travail et de réalisations. Nous avons perdu beaucoup de temps, à cause de la dernière décennie. Les gens responsables durant cette décennie ont voulu nuire à la Tunisie, mais ils n’ont pas réussi. De toutes façons, ma conception c’est le travail avant tout. On parle des cent jours… Nous avons travaillé, nous avons agi et nous avons promulgué des lois ».

 

« Optimisme de combat »

Encore largement anonyme, l’homme a ensuite souhaité se présenter aux élus et par extension aux Tunisiens, avant de passer aux difficultés économiques du pays :

« Je veux vous dire qui je suis. Je suis juriste de la Banque centrale de Tunisie à la direction juridique. Cette carrière m’a permis de consulter tous les dossiers en rapport avec les rouages de l’État. Je suis marié et j’ai deux filles. Je veux me présenter et ne pas céder la parole aux réseaux sociaux. […] Je suis optimiste et je suis déterminé pour la réussite… Toutes les fonctions œuvrent pour la Tunisie. Il n’y a pas de plus beau pays que la Tunisie et je crois en ce pays. Certains parlent de crise et que le pays serait au bord de la faillite, mais nous avons une situation spéciale et difficile. Pour définir la situation, on parle des réserves en devises. La moyenne raisonnable est de 90 jours d’importation, aujourd’hui nous en sommes à 110 jours. En 1985, nous avons atteint -5 jours. Même si la Tunisie passe par des conditions inhabituelles, je reste persuadé qu’avec la conjugaison des efforts de toutes les forces vives nous allons surmonter ces étapes ».

Axé sur des recettes souverainistes faisant la part belle à l’auto-suffisance, ce discours n’a cependant pas les moyens de sa politique, soulignent aujourd’hui plusieurs économistes qui notent en réalité l’orthodoxie du budget 2024 de l’Etat qui fait appel aux mêmes ressorts de l’emprunt et de l’endettement, tout au plus en changeant de bailleurs de fonds.

« Je prône un optimisme de combat ! La formule est de moi ! Elle m’est venue l’autre jour, c’est mon défaut, je pense un peu trop ! », se prévaut en langue française Hachani, pas peu fier de cette fulgurance intellectuelle.

Ahmed Hachani consacre enfin de longues minutes de cette adresse au Parlement à une parenthèse plus personnelle, pour déplorer les attaques souvent à caractère satirique, dont il ferait l’objet dans la presse et les réseaux sociaux qui moquent ses rares sorties et ses maladresses verbales et comportementales, raillant un costume de chef de gouvernement bien trop grand pour lui. « Les auteurs de ces mots blessants et méchants ont un cœur plein de haine », s’attarde-t-il. Pourtant, d’aucuns rappellent au Premier ministre ses propres attaques virulentes formulées sur les réseaux sociaux notamment à l’encontre de Bourguiba, avant que ce compte Facebook ne soit tardivement supprimé :

 

Un discours en langue étrangère, « du jamais vu » pour l’opposition

Commentant hier lundi cette allocution, le secrétaire général du Parti des travailleurs, Hamma Hammami, s’est dit « choqué » par le discours prononcé vendredi par le chef du gouvernement. L’opposant a ainsi estimé qu’il est inacceptable, en plus d’être expressément interdit, qu’un responsable politique prononce un discours ponctué d’une autre langue que celle officielle du pays.

« Avez-vous déjà vu un ministre français parler anglais devant l’assemblée, ou un ministre anglais parler chinois ? C’est clairement interdit ! Au pire il aurait fallu recourir au dialectal tunisien, ou alors faire comme d’autres avant lui et lire à partir d’une feuille », a fustigé Hammami.

Car sous la coupole du Bardo, le chef du gouvernement aura surtout confirmé sa susceptibilité et sa maîtrise très approximative de la langue arabe, certes un tantinet meilleure que celle de Najla Bouden, quoique nul ne pourrait faire pire. Ponctué d’expressions françaises en plus de nombreuses saccades et de longs silences, autant dire que cette performance n’entrera probablement pas dans la postérité.

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