BCT Gate : un scandale retentissant aux ramifications complexes

 BCT Gate : un scandale retentissant aux ramifications complexes


C’est peut-être l’un des scandales du siècle en Tunisie où la « guerre contre la corruption » s’attaque une fois n’est pas coutume aux cols blancs. Un juge d’instruction a décidé d’émettre un mandat de dépôt contre deux cadres de la Banque centrale de Tunisie, parmi cinq suspects dont trois ont été laissés en état de liberté. Un sixième individu est en état de fuite.



La "forteresse" siège de la Banque Centrale de Tunisie, Avenue Mohamed V, Tunis


Le porte-parole du Pôle judiciaire financier Sofiène Selliti a indiqué lundi que tous les suspects sont soupçonnés d’être impliqués dans un certain nombre d’activités criminelles relatives au blanchiment d’argent, à la corruption et au détournement de fonds publics. Il s'agirait notamment d'un système de rétrocommissions et des crimes de change.


« Le pôle judiciaire financier, en coordination avec la brigade centrale avait mené des enquêtes, sous la tutelle du ministère public, qui ont conduit à l’arrestation de cinq employés de la Banque centrale, depuis de mardi 6 février 2018. Une enquête judiciaire a été ouverte afin d’investiguer sur des soupçons de blanchiment d’argent, de détournement par un fonctionnaire public de fonds publics et de corruption », a-t-il précisé.


 


Dans l’embarras, la BCT tente de répondre


Visiblement en mode communication de crise, la BCT n’a pas pu pour autant anticiper ce scandale, contrairement à ce que laisse à penser son communiqué envoyé aujourd’hui mardi 13 février aux journalistes par cette institution d’ordinaire peu habituées à ce type de crises.


« Ayant eu connaissance courant du mois de janvier 2018, de certaines opérations illégales initiées par deux de nos agents, nous avons saisi immédiatement les autorités judiciaires compétentes de l’affaire en lui communiquant tous les éléments à notre disposition pour leur permettre d’engager les procédures légales appropriées ». Une version chronologiquement contradictoire donc avec la communication du parquet, qui dit avoir initié la procédure.


Dans son communiqué, l’autorité monétaire insiste sur le fait que « la saisie des autorités judiciaires de cette affaire a été effectuée par sa propre initiative et de manière spontanée, forte de son engagement continu en tant qu’établissement national et de l’engagement de l’ensemble de ses cadres pour la défense de l’intérêt général et le respect de la loi et pour se conformer à toutes les obligations permettant la lutte contre toutes formes de crimes ».


 


L’affaire se politise


Deux évènements récents fournissent quoi qu’il en soit des éclairages, ou tout du moins clés de lecture de cette situation confusion sur fond de guerre froide entre la présidence du gouvernement et la très indépendante BCT.


Le président de la République Béji Caïd Essebsi avait en effet approuvé dès jeudi 8 février la décision prise par le chef du gouvernement Youssef Chahed concernant le limogeage du gouverneur de la BCT, Chedly Ayari (84 ans), au lendemain du second blacklistage de la Tunisie par l’UE, cette fois dans la liste des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Mais Ayari siège toujours, en attendant que le Parlement statue sur son sort.


Ayant refusé dans un premier temps de démissionner, puis ayant rencontré, à sa demande, un groupe de députés, Ayari a-t-il déclenché par son attitude de défiance le courroux de la Kasbah, qui a aussitôt précipité l’action du ministère public ? Un scénario très vraisemblable, à en croire les experts économiques et autres observateurs proches du dossier.


Pour compliquer le tout, dans une correspondance adressée lundi 12 février au président de l’Assemblée, le député Nidaa Tounes Mohamed Fadhel Ben Omrane (ancien président du bloc du même parti) a émis des réserves quant à la tenue d’une séance plénière consacrée à l’examen et au vote pour le limogeage du gouverneur actuel de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari.




Ben Omrane estime en effet que la procédure suivie « est erronée et contraire à ce qui est stipulé par l’article 78 de la Constitution » dans la mesure où, selon lui, c’est le chef du gouvernement qui doit adresser la demande à l’ARP pour le limogeage d’un gouverneur de la BCT et la nomination d’un remplaçant, et non le président de la République. Affaire à suivre.


 


Seif Soudani 


 


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