Auditions publiques de l’IVD : la Tunisie s’apprête à vivre un « moment historique »

 Auditions publiques de l’IVD : la Tunisie s’apprête à vivre un « moment historique »

Réussir l’étape des auditions publiques est le seul moyen pour « restaurer la confiance des citoyens dans les institutions »

Bon gré, mal gré, la Tunisie avance dans son processus de justice transitionnelle. Un peu plus de deux ans après sa mise en place, l’Instance vérité et dignité organise cette semaine les premières auditions publiques des victimes de l’ancien régime. Ni plus ni moins qu’un « moment historique » pour la présidente de l’IVD, Sihem Bensedrine.


 


Un moment historique


Plus parlant que les chiffres présentés dans les rapports d’activités de l’instance, les paroles des victimes qui s’exprimeront à partir du 17 novembre pourraient bien marquer l’histoire de la Tunisie. L’occasion d’écrire cette histoire « en lettres d’or », a expliqué, enthousiaste, Mme Bensedrine lundi matin lors d’une conférence de presse. Donner la parole et rendre leur dignité à tous ceux qui ont été spoliés, violentés, torturés ou pire sont la « seule voie pour restaurer la confiance des citoyens dans les institutions publiques », martèle l’ancienne opposante au régime de Ben Ali. Au-delà de la Tunisie, « le monde entier nous observe », a-t-elle ajouté.


Les 17 et 18 novembre, une dizaine de victimes s’exprimeront pour la première fois en public et en prime time sur les principales chaines de télévision tunisiennes et plusieurs médias internationaux. L’horaire choisi – après le journal télévisé de 20 h – doit permettre à un maximum de Tunisiens de suivre la retransmission des auditions.


L’objectif affiché par l’IVD est clairement de donner à cet événement toute sa dimension symbolique. Il se tiendra au « Club Elyssa », un espace confisqué à ses ancien propriétaires et longtemps utilisé par l’ancienne première dame, la sulfureuse Leïla Trabelsi, qui avait mis une partie de l’économie tunisienne en coupe réglée. « La réappropriation des biens et bâtiments publics est tout aussi importante », selon la présidente de l’IVD, qui rappelle que les Allemands avaient eux-mêmes choisi des locaux du parti nazi pour juger les dignitaires du 3e Reich à Nuremberg.


 


Baromètre de la démocratie tunisienne


Pour compenser la relative étroitesse de la salle d’audience (environ 350 places), un chapiteau installé à proximité devrait pouvoir accueillir un millier de personnes supplémentaires. Les plus hauts responsables tunisiens devraient assister à l’ouverture des travaux. Sont aussi attendues des personnalités du monde entier, en particulier des membres de commissions vérité venant d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.


Des accréditations ont par ailleurs été demandées par plus de 200 journalistes dont de nombreux étrangers, selon une source au service de communication de l’instance. Ils disposeront d’un espace réservé et équipé pour couvrir l’événement dans les meilleures conditions, assure la même source. Ils se sont engagés à respecter la charte établie par l’IVD pour l’occasion. En toute logique, les victimes, qui font l’objet d’un programme de protection, ne pourront pas être interviewées. De même, afin d’éviter les manipulations, aucun appareil d’enregistrement ne sera admis dans la salle où se dérouleront les audiences, et seul le signal diffusé par l’IVD pourra être diffusé par les chaines de télévision.


De l’avis de beaucoup d’observateurs de la transition tunisienne, cette étape dans la justice transitionnelle sera un bon indicateur de la santé de la jeune démocratie. Montrer la capacité à rendre justice dans la stabilité est également essentiel pour « rassurer les potentiels investisseurs étrangers », estime Mme Bensedrine.


Depuis son installation, L’IVD, en particulier à travers sa présidente, a en effet été l’objet d’attaques répétées dans les médias proches du pouvoir actuel et de l’ancien régime. Le déroulement des audiences, dont le contenu est pour le moment tenu secret, le traitement médiatique et les réactions de la classe politique indiqueront si la Tunisie est prête à assumer son histoire récente en faisant la lumière sur ses aspects les plus sombres.


Rached Cherif