Au Kram, les dérives de l’assignation à résidence
Le 13 janvier 2011, Mohamed Ali Ghorzi était touché par balle au niveau de la cheville par les forces de l’ordre lors des évènements de la révolution particulièrement violents au Kram Ouest. Aujourd’hui il est assigné à résidence dans le cadre des mesures prises par les autorités en marge de l’état d’urgence consécutif à l’attentat du 24 novembre dernier. Ses voisins décrivent l’enfer de la double tragédie vécue par ce jeune blessé de la révolution.
Mise à jour : Mohamed Ali a été convoqué au poste de police à 15h00 le même jour de la publication de cet article. Les autorités lui ont signifié la levée de son assignation à résidence.
Attablé au café du coin après s’être rendu à la mosquée pour la prière du matin, Mohamed Ali, 22 ans, a le regard perdu. Après la révolution, il avait reçu un dédommagement financier de l’Etat pour son invalidité partielle, puis bénéficié d’un recrutement en vertu de la loi sur les dérogations pour le recrutement dans la Fonction publique, des dispositions dérogatoires profitant aux anciens prisonniers ayant bénéficié de l’amnistie générale ou d’un membre de leur famille, ou et en l’occurrence aux blessés de la révolution. Depuis « il mène une vie normale, sociable et passionné de football », décrit un proche.
Quand l’Etat reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre
Une fois sa modeste indemnisation reçue, « pour se changer les idées » Mohamed Ali décide de partir quelques jours pour l’une des rares destinations sans visa pour les Tunisiens. Il pense alors d’abord au Maroc. Ses amis lui déconseillent : « c’est un pays où les prix sont chers, mille dinars sont insignifiants là-bas », l’avertit son entourage. C’est alors qu’il jette son dévolu sur la Turquie, mais n’y reste que pour une durée de trois jours.
Ces trois jours constituent la base sur laquelle les autorités l’ont mis en résidence surveillée pour suspicion de terrorisme. Dans la nuit de mercredi à jeudi 3 décembre, toujours soumise au couvre-feu, il est réveillé à 03h00 du matin, braqué dans son lit par des policiers.
« Ce sont des retrouvailles, ceux qui lui ont tiré dessus un certain 13 janvier se vengent parce qu’il a osé porter plainte », avancent ses voisins. Depuis il doit pointer tous les jours au poste de police le plus proche.
« Je ne suis resté que trois jours, en comptant le jour d’arrivée et le jour de départ, simplement parce que je me suis retrouvé dans un pays où je ne comprenais rien, et que j’ai compris que la somme d’argent que j’avais sur moi ne représentait rien au regard des prix affichés », affirme le jeune assigné à résidence.
« Faut-il être un jouisseur ou un délinquant pour que votre séjour en Turquie soit au-dessus de tout soupçon ? Ces trois petits jours sont donc suffisants pour être considéré comme un criminel et pour m’assigner à résidence me privant de mon emploi ? C’est moi qui nourris toute ma famille », ajoute-t-il désemparé.
Dans ce quartier du 5 décembre symbole de la radicalité révolutionnaire, la multiplication des perquisitions résultant en des assignations à résidence hâtives, similaires à celles de Mohamed Ali Ghorzi, contribuent à la montée du ressentiment et de la défiance envers l’Etat.
Seif Soudani