Au 4e jour de contestation sociale, le mouvement se politise

 Au 4e jour de contestation sociale, le mouvement se politise

« Les casseurs qui profitent de la situation de tension pour piller et saccager en utilisant des enfants


Alors que les affrontements nocturnes ont semblé diminuer en intensité dans la nuit de mercredi à jeudi 11 janvier, il est peu probable que la contestation, dans ses deux volets pacifique et violent, ne s’essouffle avant dimanche 14 janvier, date de la 7ème commémoration de la révolution de la dignité. Loin d’en tirer les leçons, la classe politique, surtout celle au pouvoir, se cherche toujours un bouc émissaire.



Au total, ce sont 12 gouvernorats sur les 24 que compte le pays qui ont été touchés par les actes de vandalisme et de pillage survenus en marge des protestations sociales, et pas moins de 237 individus arrêtés. N’aspirant pas pour autant à une escalade, les autorités ont cependant systématiquement relâché les jeunes meneurs du mouvement « Fech Nestannew ? » (qu’attendons-nous ?) » au bout de quelques heures de garde à vue.


Un bilan préoccupant


D’après le porte-parole du ministère de l’Intérieur, les gouvernorats en question sont ceux de la Manouba, l’Ariana, Tunis, Ben Arous, Kasserine, Sidi Bouzid, Béja, Kébili, Sfax, Gafsa et Sousse et Nabeul. A Gafsa 8 personnes ont été interpellées pour avoir attaqué le poste de la police nationale d’El Ktar, attaqué et mis à feu le siège de la recette des finances, symbole physique de la loi de finance dont ils demandent le retrait.


A Béja, deux salafistes takfiristes qui figuraient parmi les assaillants du poste de police et de la recette des finances de Nefza ont été appréhendés. A Sidi Bouzid, fief de la révolution de 2011, les forces de l’ordre ont arrêté deux individus ayant saccagé le générateur électrique de la société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG), provoquant une coupure d’électricité dans plusieurs quartiers.


A Ben Arous, les casseurs ont pris d’assaut deux hyper-marchés de la région avant que les forces de l’ordre n’interviennent. A l’Ariana, 31 individus ont été arrêtés pour vandalisme, vol et tentative d’attaque ciblant le poste de la police de Sidi Thabet, apprend-on de même source, tandis qu’à la Manouba, une centaine de motos ont été volées du dépôt municipal de la Jedeida.


Au total, 58 policiers et gardes nationaux ont été blessés à des degrés divers lors des affrontements avec les casseurs, et 57 véhicules appartenant aux unités anti émeutes ont été endommagées.


Les actes de vandalisme et le blocage des routes dans les différentes régions de la Tunisie ont poussé le gouvernement canadien à appeler ses ressortissants à la vigilance dans un communiqué publié aujourd’hui jeudi.


Youssef Chahed charge explicitement le Front Populaire


En déplacement hier après-midi dans la délégation d’El Battane à la Manouba, une des régions les plus touchées par les protestations où des casseurs ont mis à feu un poste de police, le jeune chef du gouvernement a visiblement souhaité marquer le coup, lors d’une opération com’ bien rodée, faisant intervenir deux citoyens locaux venus s’excuser au nom des riverains (vidéo-ci-dessus).  


Alors qu’il exprimait sa consternation envers les actes de destruction et de pillage, qu’il a imputé aux « sbires des barons de la corruption » arrêtés durant la récente guerre gouvernementale contre la corruption, « ainsi que certains partis politiques irresponsables, une journaliste insiste et lui demande qui il vise précisément « Le Front Populaire ! » s’exclame Chahed. « Vous savez, moi je dis les choses telles qu’elles sont » rechérit-il.


« Comment un parti peut-il voter un point relatif à la taxe sur la valeur ajoutée et à l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans la loi de finances et appeler ensuite à manifester contre la même loi ? », s’est-il également indigné.


Autant dire que l’accusation nominative n’est pas passée inaperçue, d’autant que Youssef Chahed, en relatif apolitique issue du monde de la technocratie, n’est pas un habitué de ce type de clashs.


   


Intervenant dans la soirée sur France 24 en langue arabe, le leader du Front populaire Hamma Hammami n’a pas longtemps attendu pour réagir :


« Ce sont les propos du chef du gouvernement qui sont irresponsables ! », a-t-il dénoncé, en estimant que « M. Chahed est entrain de divaguer à cause de son propre échec, de celui de son gouvernement et de la coalition au pouvoir, n’ayant pas été préparé à la réaction populaire face aux mesures destructrices adoptées par la loi de finances 2018 ». Pis, selon lui, « le chef du gouvernement est en train de couvrir la corruption qui gangrène son propre gouvernement, qui s’est allié aux réseaux de contrebande et de corruption » conclut Hammami.


Ce dernier ne chôme pas : dimanche prochain il participera à une grande marche à Tunis, en ce moment en préparation avec des organisations de la société civile et d’autres partis, sous le slogan « récupérons notre révolution confisquée ! ».


Paradoxalement, c’est en se politisant que le mouvement se divisera de façon encore plus distincte, entre politiciens d’un côté cherchant à capitaliser sur un élan social à l’approche des élections municipales, et de jeunes chômeurs désillusionnés qui n’attendent plus grand-chose de la démocratie représentative fusse-t-elle naissante en Tunisie.


Seif Soudani