Arrestation de Slim Chiboub pour harcèlement

 Arrestation de Slim Chiboub pour harcèlement


Le fait divers, scandale retentissant survenu hier mercredi en fin de journée, pourrait bien susciter l’intérêt de l’opinion publique en Tunisie davantage encore que les feuilletons du ramadan. Arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’une affaire de harcèlement sexuel, le gendre de feu l’ancien président Ben Ali, Slim Chiboub (61 ans) a été « piégé » par sa présumée victime, ce qui a aussitôt ouvert un débat d’ordre juridique. 


 « Aujourd’hui, nous avons réussi à faire tomber celui qui croyait que nous étions dans un marché aux esclaves où tout se vend et s’achète. S.CH. Est tombé aujourd’hui. Il est gardé à vue à Bouchoucha (caserne de la police judiciaire) après un guet-apens bien ficelé », s’est félicitée publiquement la journaliste Arbia Hamadi, reconnaissant avoir tendu un piège à l’intéressé, en compagnie de son mari, l’avocat Taieb Bessadok.  


Si l’affaire passionne tant les Tunisiens, c’est aussi en raison du « high profile » des protagonistes, une triangulation de figures publiques. L’animatrice qui a œuvré sur plusieurs chaînes TV depuis l’avant-révolution avait récemment quitté les plateaux TV, après une passe d’armes avec une autre chroniqueuse, pour se consacrer aux réseaux sociaux sur lesquels elle anime un vidéo blog suivi par un demi-million d’abonnés, et où elle est devenue l’égérie de toutes sortes de causes sociales, promettant à ses abonnés de relayer leurs injustices.


Son mari, le juriste Taieb Bessadok, a lui aussi récemment défrayé la chronique en intégrant le comité de défense du rappeur Swagg Man, emprisonné depuis plusieurs mois pour suspicions de blanchiment d’argent et d’escroqueries commises notamment en France.


Symbole de l’entrisme durant l’ère Ben Ali, Slim Chiboub ex président de l’Espérance sportive de Tunis et ex dirigeant au sein de la Fifa, fut l’un des milliardaires tunisiens les plus célèbres avant de tomber en disgrâce, de fuir aux Emirats arabes unis, puis de passer par la case justice transitionnelle et de revenir plus récemment sur le devant de la scène tunisienne, notamment en tant qu’influent lobbyiste.


 


Une jurisprudence complexe


Le substitut du procureur de la République au Tribunal de première instance de Tunis, Mohsen Dali, a confirmé la garde à vue.  


Intervenant hier soir pour commenter l’arrestation, l’avocat Mounir Ben Salha écrit : « Cela fait 10 jours en tout et pour tout qu’elle tente de l’amadouer et de le séduire […] tout en enregistrant leurs échanges, pour le piéger le jour venu. Peut-on appeler cela un guet-apens en justice ? Certainement pas ! Nous sommes ici en présence d’une provocation de crime, où la victime participe à la mise en scène, ce qui lui ôte automatiquement le statut de victime et la met au même rang que l’instigateur du crime ou du délit », assure cet ancien avocat de Ben Ali, tout en citant une jurisprudence pénale en cassation datée de 2010.


Dans une vidéo, la journaliste explique n’avoir jamais rencontré l’homme d’affaires, mais qu’elle a dû prouver que le téléphone d’où provenaient les messages à caractère intime était bien en sa possession, d’où le recours selon elle au guet-apens filmé par le mari pour obtenir la base d’un « flagrant délit ». Sceptiques, certains internautes évoquent cependant un règlement de compte à caractère politique.


On distingue traditionnellement deux modèles procéduraux et institutionnels permettant de comprendre l’organisation des juridictions pénales et la place qu’elles réservent aux différents acteurs de la scène judiciaire répressive : le modèle accusatoire et le modèle inquisitoire.


Le modèle accusatoire, en vigueur en France mais aussi en Tunisie, privilégie le rôle des parties. Le procès y est conçu comme un affrontement contradictoire, public et largement oral entre l’accusation et la défense. Si chacune des parties se trouve à égalité avec son adversaire, chacune doit également prouver les faits au soutien de sa cause. Le pouvoir du juge consiste en conséquence à arbitrer, davantage qu’à instruire.  


Le modèle inquisitoire, largement en vigueur aux Etats-Unis, accentue à l’inverse la différence entre justice pénale et justice civile. Il privilégie, pour la première, la position de surplomb d’un juge représentant l’intérêt général et chargé de diriger l’enquête à charge et à décharge : un modèle qui appuie sa légitimité sur l’idée que la justice répressive ne se limite pas à arbitrer un litige entre des plaideurs mais qu’elle intéresse la société elle-même. Une philosophie qui a fait le succès ces dernières années de shows télévisés où sont orchestrés des guet-apens, bien avant le mouvement #MeToo, pour piéger des délinquants sexuels en les sollicitant en premier.