Argent politique, relations extérieures : la campagne 2019 a commencé

 Argent politique, relations extérieures : la campagne 2019 a commencé

Youssef Chahed


Deux développements ont secoué ces dernières 24 heures un paysage politique tunisien déjà mouvementé : l’intense et suspect lobbying auprès de Bruxelles en vue de lever le gel sur les fonds mal acquis de Marouen Mabrouk, ainsi qu’une visite surprise en Arabie saoudite… A 1 an des prochaines échéances électorales en Tunisie, ces deux évènements sont autant de signes avant-coureurs des luttes d’influence qui s’annoncent féroces.



 


C’est le site du parti d’opposition « Attayar » (Courant démocrate) qui le premier a révélé l’existence d’un document (ci-dessus) émis par l’ambassade de Tunisie à Bruxelles, adressé au Service européen pour l’action extérieure, plus précisément à sa Division de la politique des sanctions, et demandant le retrait de Marouen Mabrouk de la liste des individus appartenant au clan de l’ex président Ben Ali faisant l’objet depuis 2011 d’un gel de leurs avoirs placés dans les banques de la zone UE, prétextant que l’intéressé a présenté « une garantie bancaire de premier rang au bénéfice de l’Etat tunisien ».


En clair, l’homme d’affaires s’est montré selon cette requête disposé à rembourser un montant censé couvrir de façon anticipatoire toute condamnation judiciaire future à hauteur de 7,5 millions d’euros. Or, problème, cette demande exclusive des autorités tunisiennes ne concerne que Marouen Mabrouk, dont le nom figure parmi une liste de 48 autres personnes faisant l’objet d’un gel de leurs avoirs pour les mêmes raisons, en l’occurrence de blanchiment d’argent, ce qui interroge sur l’existence ou non de garanties similaires présentées par ces derniers.


Deuxième à relayer l’affaire tout en y apportant d’autres précisions, le site de l’ONG de vigilance I-Watch, titré de façon jugée « ordurière » par certains lecteurs « Youssef Chahed, le nouveau valet de Marouen Mabrouk ». On peut y lire que le milliardaire avait déjà poursuivi l’Etat tunisien en 2015, 2016, et 2017 au motif de la lenteur des procédures en cours.


Selon la même source, malgré le rejet de la requête de l’ancien ministre des Domaines de l’Etat Mabrouk Korchid au profit de Marouen Mabrouk par la Commission tunisienne en charge des litiges, le chef du gouvernement tunisien serait « intervenu personnellement » auprès de l’Union européenne, sans attendre la fin des procédures pénales, afin d’accélérer l’examen de la demande de levée du gel, évoquant l’urgence de dynamiser les investissements dans le cadre de la relance économique en Tunisie.     


Un zèle remarquable que d’aucuns estiment opportunément concomitant de la période de levée de fonds à l’approche d’une coûteuse campagne électorale pour conquérir Carthage.


L’empire du groupe Mabrouk est entre autres détenteur en Tunisie d’une partie du FAI – télécommunications français Orange, ainsi que des magasins Monoprix et de l’enseigne de la grande distribution Géant en partenariat avec Casino. 


 


La géopolitique, l’autre front incontournable  


Les observateurs de la scène politique tunisienne n’avaient mas manqué de relever la place relativement en retrait réservée à Youssef Chahed d’un point de vue protocolaire, lors de la récente visite en Tunisie de l’héritier du trône saoudien Mohamed Ben Salmane. Une visite placée sous le signe de l’amitié personnelle entre le président de la République Béji Caïd Essebsi « BCE » et le nouvel homme fort du royaume wahhabite « MBS », deux hommes qui ont en commun leur conflit ouvert avec les Frères musulmans, qui se trouvent être les nouveaux alliés du gouvernement tunisien dit « Ennahdha – Chahed 3 ».


Qu’à cela ne tienne, le Palais du gouvernement a annoncé le 12 décembre une visite officielle de Youssef Chahed à Ryad, à 24 heures seulement de l’envol du chef de l’exécutif tunisien vers la capitale saoudienne, reçu cette fois par le roi en personne les 13 et 14 décembre courant. Des honneurs rares que le roi Salmane Ben Abdelaziz, physiquement amoindri par la maladie, n’accorde plus que de façon exceptionnelle.


Au programme, un mémorandum d’accords d’une valeur de 350 millions de dinars tunisien, et surtout beaucoup de communication autour du lobbying de Youssef Chahed devant les investisseurs saoudiens potentiels pour les inciter à financer de nouveaux projets en Tunisie.


En parcourant le communiqué de la Kasbah à propos de cette visite, qui mentionne notamment de vagues « pourparlers au sujet de la situation régionale », difficile de ne pas penser que cette escapade à Ryad constitue une forme de revanche politique personnelle du chef du gouvernement, qui consolide ainsi son rang à l’international, en ne laissant au hasard aucun aspect de la course à la présidentielle en 2019. Une bataille qui sera d’abord fratricide, avant d’être pluraliste.


 


Seif Soudani


 


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