Tunisie. Après les promesses en milliards, place à la désillusion
C’est la douche froide. L’une après l’autre, les promesses tant de restitution de fonds vertigineux que d’engagements douteux à prêter à l’Etat tunisien s’évaporent. En s’écroulant comme un château de cartes, l’édifice onirique des milliards de dinars promis affaiblit dans sa chute le crédit politique et moral de la présidence de la République.
Actuellement sans conseillers connus par l’opinion publique, le président de la République Kais Saïed a progressivement chassé la quasi-totalité de ces derniers à mesure que son mandat touche à sa fin, théoriquement fin 2024. Or, Saïed qui se dit volontiers peu connaisseur en matière d’économie et de chiffres, a semble-t-il nommé à la tête de la Commission nationale chargée de la conciliation pénale certains éléments qui ne brillent pas par leur compétence, à en croire le dernier incident en date qui vaut à cette commission, déjà sans président, d’être à nouveau remaniée, sur fond de franches railleries.
Conjuguée à la crise sans précédent que connaissent les finances publiques tunisiennes, cette situation de torpeur estivale attire manifestement toutes sortes de charlatans et de mythomanes qui miroitent à l’Etat des milliards de dollars. Problème, tout Etat qui se respecte n’aurait pas accordé le moindre crédit à ces adeptes du buzz et de l’arnaque financière et intellectuelle.
Des enchères devenues la risée du web
Via un aussi laconique que discret communiqué, le président de la République Kais Saied a en effet décidé le 7 juillet de mettre fin aux fonctions de la juriste Fatma Yacoubi en sa qualité de membre de la Commission de conciliation pénale, une entité chargée de mettre en œuvre l’ambitieux projet présidentiel du même nom, sorte d’alternative tardive au volet financier de la justice transitionnelle, près de 12 ans après la révolution tunisienne.
Fatma Yacoubi s’était distinguée deux semaines auparavant, en annonçant au cours de la visite du chef de l’Etat au siège de la Commission qu’un couple de citoyens aurait proposé la somme mirobolante de 30 milliards de dinars tunisiens (10 milliards de dollars US) de sorte de bénéficier des dispositions du décret-loi de la réconciliation pénale. Un texte de loi lui-même plus qu’optimiste puisqu’il ambitionne de récolter la bagatelle théorique de 13 milliards de dinars auprès d’hommes d’affaires suspectés de corruption avant et après la révolution de 2011.
Au-delà de la mythomanie de ces promesses qui se sont avérées depuis être le fruit d’élucubrations de personnes mentalement instables, c’est tout ce projet de réconciliation, qui n’a à ce jour rapporté que la risible somme de 5 millions de dinars, qui gagnerait à être reconsidéré.
Cela n’a pas échappé à l’opposition qui réclame des excuses du président Saïed en personne. Pour Zied Ghanney, jeune cadre du Courant démocrate, « toute personne douée d’un minimum de bon sens ferait machine arrière, ne serait-ce que par respect pour l’intelligence du peuple tunisien. Le président a tort de chercher à sauver la face de cette façon, la fuite en avant ne saurait être une solution rationnelle à la farce que nous vivons ».
100 milliards, qui dit mieux ?
Mais ce n’est pas là le seul épisode ubuesque de ce genre. En juin dernier, le journaliste tunisien Zouheir Eljis a affirmé avoir été en contact avec un mystérieux homme d’affaires tunisien du nom de Khaled Akid, résident en Allemagne, qui assure avoir obtenu par une obscure entremise une possibilité de prêt s’élevant à 100 milliards de dollars, sans intérêts. Une somme à faire pâlir le FMI et ses sombres 2 milliards. Nul n’avait alors prêté attention à ce prétendu pactole tombé du ciel, sauf le Palais de Carthage qui a selon le journaliste envoyé manu militari un véhicule de la présidence s’enquérir auprès de la radio ayant diffusé la rumeur.
Sceptique sur l’identité de ce bailleur de fonds, le journal Tunisie Telegraph a enquêté sur le sujet et débunké l’affaire quelque peu grotesque. Le média a ainsi publié des documents relatifs au supposé emprunt, des documents contenant quelques falsifications, notamment lorsque le fonds d’origine singapourienne prétend être validé par le trésor fédéral américain.
L’entreprise en question, domiciliée au Canada, serait composée d’anciens militaires autoproclamés usant de noms d’emprunt. En clair, l’emprunt dont il s’agit s’apparente fort au mieux à des allégations fantaisistes, au pire à une bonne vieille tentative d’escroquerie bancaire.
Ces affaires seraient insolites si elles n’engageaient pas la crédibilité de l’Etat tunisien et qu’elles ne lui coûtaient pas un temps précieux dans la résolution de sa crise budgétaire. Il est clair qu’aujourd’hui la politique des chaises éjectables et des responsabilités diffuses au sein de l’administration Saïed ne suffisent plus à calmer la colère et l’impatience de l’opinion nationale.