Tunisie. Appels à réformer la réglementation des changes
Le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, a déclaré que « le Code des changes a épargné à la Tunisie le scénario libanais », rappelant que la loi actuellement en vigueur n’a pas permis aux lobbies de contrôler les devises étrangères pendant la crise que traverse le pays.
Dans une intervention sur le Code des changes, en marge d’une réunion de dialogue organisée par l’Association Tunisienne des Diplômés des Instituts Français, Abassi a déclaré que « certaines pensent qu’ils peuvent convertir leur argent en devises étrangères et faire ce qu’elles veulent avec », mais grâce à la réglementation en vigueur en Tunisie, ils ne sont pas autorisés à le faire, se félicite-t-il.
« En temps de crise, nous devons nous estimer heureux que nous avons un Code des changes », répond-t-il aux appels de plus en plus pressants de libéraliser la monnaie tunisienne, notamment de la part de Mouna Ben Halima, présidente de l’Association des Tunisiens des grandes écoles (ATUGE), qui se fait le porte-voix en l’occurrence d’une grande partie du patronat tunisien. Celle-ci s’interrige : « Nous avons surmonté cette crise par notre protectionnisme, mais que faire maintenant que le pire est derrière nous, jusqu’à quand devrons-nous composer avec ces vieilles politiques monétaires ? ».
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Le même gouverneur de la BCT indique cependant que la Tunisie s’est déjà engagée dans le cadre de ses pourparlers avec le Fonds monétaire international à réformer sa réglementation des changes vers une libéralisation de sa monnaie dans un délai de 2 à 3 ans. Après la correction du cours de dinar tunisien à partir de 2017, « de nombreux observateurs s’étonnent de la relative bonne santé de la monnaie tunisienne », stable depuis, malgré l’ampleur de la crise économique, note Ben Halima.
Une orthodoxie monétaire salutaire mais surannée
La bonne tenue du dinar d’autant plus surprenante lorsqu’on la compare avec par exemple la récente descente aux enfers de la livre turque, qui n’en finit pas de s’écrouler face au dollar US et à l’euro.
C’est que, protectionniste depuis plusieurs décennies, le Code monétaire des changes stipule dans son article 23, entre autres interdictions, que « sont interdits, sauf autorisation, aux personnes visées à l’article 16 du code des changes et du commerce extérieur : 1) toute acquisition des biens corporels, mobiliers ou immobiliers situés à l’étranger, de droits de propriété à l’étranger, et de créances sur l’étranger ou libellées en monnaie étrangère, représentées ou non par des titres, 2) tout acte tendant à disposer ou à modifier la consistance de leurs avoirs à l’étranger ainsi qu’à réduire leurs droits sur ces avoirs, 3) le fait de placer sous un autre régime des disponibilités en devises précédemment inscrites dans un compte ouvert à l’étranger au nom d’un intermédiaire exerçant en Tunisie, ou des 49 valeurs mobilières précédemment déposées à l’étranger sous dossier d’un intermédiaire exerçant en Tunisie ».
Parmi les voix dissidentes en Tunisie, celle vice-président de l’Institut arabes des chefs d’entreprises (IACE), Walid Belhadj Omar, qui rappelle que la réglementation des changes doit être un moteur de l’économie et au service des entreprises et non pas un obstacle à leur prospérité.
Il recommande à cet égard une profonde révision de cette réglementation de sorte qu’elle soit plus flexible pour les entreprises tunisiennes, surtout les entreprises totalement exportatrices, qu’elles appartiennent à des investisseurs tunisiens ou non. Pour lui, « l’administration tunisienne a conçu des textes de lois qui pénalisent les entreprises ».
Belhadj Omar cite entre autres le cas de l’ouverture d’un compte bancaire par un investisseur étranger en Tunisie : « les procédures d’ouverture de ce compte restent complexes par rapport aux autres pays concurrents tels que le Maroc ». Il considère que ces procédures fastidieuses dissuadent au final l’investisseur étranger qui préfère aller voir ailleurs.
Quid de la diaspora tunisienne ?
Pour l’analyste financier Hatem Zaâra, une nouvelle réglementation des changes devra accorder d’importants privilèges et exonérations à la diaspora tunisienne, elle qui contribue cette année à hauteur de 7% du PIB tunisien, un chiffre record. Les Tunisiens résidents à l’étranger ont ainsi joué un rôle clé en ces temps de crise, « sans eux la situation aurait pu être beaucoup plus compliquée », insiste Zaâra. D’où la nécessité de prévoir des privilèges leur permettant d’investir en Tunisie à travers des mesures claires en matière de retrait et d’épargne.
Selon le gouverneur de la Banque centrale tunisienne, la parenthèse historique que vit le pays aujourd’hui, sans Parlement, « est une aubaine » dans la mesure où elle permettrait de faire passer des réformes par décret présidentiel, sans passer par d’interminables discussions parlementaires, encore faut-il disposer de la volonté politique pour le faire.