Tunisie. Annulation de l’examen d’un projet de loi criminalisant la normalisation avec Israël

 Tunisie. Annulation de l’examen d’un projet de loi criminalisant la normalisation avec Israël

La semaine dernière, la commission des droits et des libertés au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) avait approuvé à l’unanimité une ancienne proposition de « loi incriminant la normalisation avec l’entité sioniste » remise au goût du jour. Mais coup de théâtre, nous apprenons ce lundi 30 octobre 2023 que l’examen du projet de loi a été reporté sine die. S’agit-il d’un vice de procédure, ou le texte est-il dans la tourmente pour des considérations plus politiques ?   

Si elle revient avec insistance depuis la récente escalade meurtrière à Gaza, au regret de certaines voix qui mettent en garde contre le fait de légiférer sur n’importe quel sujet sous le coup de l’émotion de l’opinion, la question du vote d’un projet de loi similaire ne date pas d’aujourd’hui. Depuis la révolution de 2011, le débat autour d’une telle loi revenait en effet régulièrement sur le devant de la scène, parfois à des fins électoralistes. Cette fois, sous l’impulsion du seul homme aux commandes du pays, Kais Saïed, connu pour ses positions « plus radicales encore que le Hamas » ironisent ses détracteurs, les débats entre députés se sont articulés autour de « la nécessité de durcir les sanctions relatives aux crimes liés à la normalisation ».

Ainsi avant l’annulation de la séance consacrée à l’examen du texte, les députés ont examiné les propositions d’amendement de l’article 2 de cette proposition, axées pour la plupart sur la définition même du concept de « traitement direct ou par la médiation avec l’entité sioniste ». L’article amendé a été adopté à la majorité des membres présents.

Dès juillet dernier, le bloc parlementaire « la Ligne nationale souveraine », avait déjà présenté un projet de loi comportant 7 articles fixant les peines de prison et les amendes à infliger aux « auteurs des crimes de normalisation ».

 

Flou sémantique

La présidente de la Commission des droits et libertés à l’Assemblée des représentants du peuple, Héla Jaballah, a déclaré que le projet de loi comprend la définition de certains termes tels que « entité sioniste », « normalisation » et « crime de normalisation », incluant les actes qui entraîneraient des poursuites en justice. Elle a expliqué que toute personne qui tente ou participe, communique, collabore ou traite avec Israël à travers différentes activités culturelles, commerciales, militaires, relatives à l’enseignement ou autres, est susceptible d’être poursuivie pénalement sur la base de cette loi.

« L’application de la loi entrera en vigueur dès sa parution dans le Journal officiel de la République tunisienne (JORT) et la sanction est imprescriptible », selon la même source, ce qui la mettrait à pied égal avec le terrorisme en matière de non prescriptibilité.

« On peut être contre la normalisation mais aussi contre le fait de légiférer là-dessus, les lois n’étant pas pertinentes pour tout résoudre », commente aujourd’hui l’ancien ministre et militant politique Faouzi Ben Abderrahman. « J’ai lu le texte de loi en question, et ses formulations alambiquées posent davantage de problèmes qu’elles n’en résolvent », conclut-il.

 

Ingérence du pouvoir exécutif

Cyrine Mrabet, chargée de l’information et de la communication à l’ARP a aujourd’hui annoncé l’annulation de la séance plénière de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) initialement prévue en urgence, ce qui a créé un cafouillage dans les couloirs de l’Assemblée où des élus demandent des explications concernant les causes du report de la plénière ainsi que la fixation d’une nouvelle séance dans un délai ne dépassant pas une semaine.

A la mi-journée, nous apprenons qu’un coup de fil du ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, demandant au président de l’Assemblée, Ibrahim Bouderbala, son souhait d’être présent lors des débats parlementaires, serait derrière ledit report.

Samedi, l’ambassadeur tunisien à l’ONU, Tarek El Adab, a dû expliquer les motivations de l’abstention très critiquée de la Tunisie lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, préparée par la Jordanie. Un texte demandant, entre autres, une trêve humanitaire à Gaza, mais pas suffisamment ferme au goût du Palais de Carthage à l’égard d’Israël.

El Adab a expliqué à l’issue du vote que le projet de résolution « appelle à faciliter l’entrée de l’aide humanitaire et d’empêcher le déplacement forcé, mais a occulté la condamnation explicite et ferme des crimes de guerre et du génocide commis par les forces d’occupation. Il a ajouté que le texte n’exige pas que l’occupant soit tenu responsable de ses crimes, n’indique pas clairement une exigence d’un cessez-le-feu immédiat et met sur le même pied d’égalité la victime et le bourreau ».

Une surenchère légaliste fustigée par une partie de l’opinion en Tunisie qui regrette que l’impératif de la virulence des slogans ait primé sur le bon sens de l’acheminement prioritaire aux victimes de Gaza, ce qui accentue l’isolement de la diplomatie tunisienne.

 

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