Affaire Groupama / Assurances Star : la controversée « division de la gouvernance »

 Affaire Groupama / Assurances Star : la controversée « division de la gouvernance »

Fadhel Abdelkefi recevant le DG de la société d’assurance mutuelle française Groupama


Les agents et les cadres de la compagnie d’assurance Star, majoritairement détenue par l’Etat tunisien, agitent une menace de grève générale sans précédent le 10 juillet prochain. Une menace qui pourrait être mise à exécution en cas de cessation de 16% supplémentaires du capital de l’entreprise au groupe français Groupama, qui en possède 35% depuis 2008. Mais l’enjeu est aussi politique depuis que l’affaire embarrasse le gouvernement Chahed. Explications.


Le préavis de grève a été annoncé par Béchir Khiari, secrétaire général de la Fédération générale des Banques et des sociétés d’assurance. Si l’affaire constitue un mini séisme socio-politique, c’est parce que la Star (Société Tunisienne d'Assurances et de Réassurances) n’est pas n’importe quelle entreprise. Fleuron numéro 1 du secteur des assurances en Tunisie, la Star assure en effet la quasi-totalité du parc automobile de l’Etat, et l’institution revêt de ce fait un caractère sensible étant donné son accès privilégié à de données touchant à la souveraineté du pays.


« Une telle cessation, d’après Béchir Khiari, risquerait de porter atteinte à la souveraineté nationale. La STAR figure parmi les plus anciennes sociétés d’assurance du pays. Il y aura de possibles répercussions sur l’économie nationale, compte tenu des bénéficies importants réalisés par la STAR : entre 20 et 30 millions de dinars par an », selon le secrétaire général.


« Il est étonnant de voir le gouvernement céder une entreprise publique qui réussit et qui assure la flotte tunisienne de bus et de voitures de services », dénonce Béchir Khiari.


Depuis le 4 juin, la vidéo de la rébellion des employés et des cadres de la Star, au siège situé en plein cœur du centre-ville de Tunis, qui se trouve ironiquement Avenue de Paris, est devenue virale sur les réseaux sociaux, comptant des dizaines de milliers de vues.  


Réputés fondeurs, les mêmes employés avaient déjà « dégagé » leur ancien PDG le 18 janvier 2011 au lendemain de la révolution, un homme qu’ils accusaient de corruption.


 


« Un accord conclu dans un restaurant » 


Le personnel refuse essentiellement la nomination d’un directeur général de nationalité française à la tête de la société, et le plan de licenciement injustifié qui s’en suivrait. « Les agents craignent pour l’avenir de la STAR avec un groupe français qui envisage d’employer 300 agents au lieu de 722 », explique Khiari, ajoutant que « le fait que le ministère des Finances refuse de nous fournir les détails du contrat de cessation des 35% signifie qu’il y aurait des dépassements. Sans compter qu’un ministre intérimaire n’a pas la légitimité d’engager de tels chantiers ».


En difficulté du temps de l’ancien régime durant l’été 2008, la Star avait ouvert son capital à la participation du plus offrant. Le français Groupama avait alors été retenu par l'Etat tunisien, mais en tant « qu'adjudicataire provisoire » dans le cadre de l'opération d'augmentation de capital de la STAR lui permettant ainsi de détenir 35% du capital à hauteur de 72 millions d’euros. Il s’agissait alors « d’apporter le savoir-faire du groupe français dans la gestion de la Star en vue de la moderniser ».


C’est le député d’opposition Imed Daïmi qui est le premier alerte l’opinion publique sur les réseaux sociaux face à ce qu’il considère comme « un forcing du ministre des Finances par intérim Fadhel Abdelkafi pour la cession du capital de la Star à son associé français qui avait déjà acquis une partie de ce capital en 2008 à travers une opération particulièrement opaque ». Daïmi souligne par ailleurs le conflit d’intérêt du ministre, ce dernier étant dans le même temps membre du conseil d’administration du groupe d’assurance rival Comar.


Réagissant sur les ondes de Radio Med le 6 juin, le ministre des Finances par intérim, peu habitué aux plateaux médiatiques, n’a pas vraiment convaincu. Abdelkafi s’est en effet obstiné à affirmer que Daïmi induisait l’opinion publique en erreur, mais sans expliquer précisément en quoi il y avait tromperie.


« Des rumeurs disent qu’il y aura un conseil ministériel pour conclure la vente. Je vous informe que ce conseil ministériel restreint a déjà eu lieu sous la présidence du chef du gouvernement. On y a décidé de la division de la gouvernance. La présidence du conseil d’administration de la STAR reviendra à l’Etat tunisien et la direction générale au groupe français ».


Une division de la gouvernance qui ne détaille pas pour autant le volet financier de l’accord. Abdelkafi poursuit même décomplexé, sans une certaine provocation : « Admettons que nous voulions vendre la Star, et alors ? ».


Ce n’est pas la première fois que le pouvoir post 2014 cède ou songe à céder des entreprises publiques en bonne santé à des capitaux privés, allant au nom de la réforme jusqu’à procéder au sauvetage par le contribuable des trois banques publiques pour ensuite les privatiser, selon ce que ses détracteurs qualifient de logique de socialisation des pertes, privatisation des profits. A l’instar de l’hiver, il y a fort à parier que l’été social sera chaud.


 


Seif Soudani