Affaire BFT: l’Etat tunisien va-t-il devoir payer 1 milliard USD ?

 Affaire BFT: l’Etat tunisien va-t-il devoir payer 1 milliard USD ?


C’est un mini séisme qui secoue depuis ce weekend les milieux financiers en Tunisie. Derrière la nouvelle exprimée en des termes techniques de « saisie conservatoire préventive sur les actifs » d'une banque publique tunisienne, se cache selon certains experts la possibilité de saisir tout bien appartenant à l’Etat tunisien à l’étranger. Mais au-delà des discours les plus alarmistes, que risquent réellement l’Etat et les contribuables ? 


Se voulant plutôt rassurant, le chargé du Contentieux de l'Etat, Chedly Rahmani, a aussitôt tempéré l’information en rappelant que le verdict du Tribunal d’arbitrage, qui dépend de la Banque Mondiale (le CIRDI) dans l'affaire qui oppose l'Etat tunisien, au groupe ABCI Investment, concernant la Tunisian Foreign Bank "BFT", n'est pas encore définitif : « Il s'agit juste d'une saisie conservatoire préventive sur les actifs de la STB, actionnaire majoritaire dans la BFT. La saisie fera l'objet d'un recours, de la part des avocats de cette même banque publique », a-t-il tenté de minimiser, sans que l’on sache s’il s’agit d’un recours à caractère suspensif.


Dans les médias nationaux, de nombreux analystes et experts n’ont quant à eux pas caché un véritable vent de panique, certains avertissant même de la possibilité « à tout moment dorénavant » de la saisie « y compris d’avions de ligne tunisiens », en rappelant des jurisprudences similaires ayant touché d’autres pays par le passé…  


 


Une bagatelle d’1 milliards de dollars


C’est que la somme requise pour le règlement de cette affaire complexe qui traîne depuis les années 80 représente un pan non négligeable du PIB tunisien. Néanmoins selon Rahmani, nous ne serions pas en présence d'une saisie exécutive : « le coût des dédommagements que l'Etat tunisien est appelé à payer, de 1 milliard de dollars, tel que relayé par les médias, n'est qu'une estimation de la partie plaignante ».


Par ailleurs, au chapitre des sursis, le processus judiciaire dans cette affaire se poursuivra jusqu'en 2021, selon un calendrier prédéfini.


Proches du dossier, nos confrères de "Maghreb confidentiel" furent les premiers à annoncer que le fonds d'investissement ABCI, basé aux Pays Bas, a déjà effectué une saisie sur les actifs de la banque tuniso-française installée à Paris, la "BFT", suite à un verdict du CIRDI daté du 2 septembre 2019.


L'Etat tunisien, qui détient la BFT à travers la Société tunisienne de banque (STB) et la BH Bank (banque de l’habitat), risque donc en vertu de ce verdict de payer à la partie plaignante l’équivalent de plus de 2,5 milliards de dinars tunisiens. La nouvelle tombée, les deux banques publiques tunisiennes, objet d’un sauvetage par l’Etat via une recapitalisation controversée en 2015, ont aussitôt décroché respectivement plus de 2,50% à la clôture des marchés financiers vendredi.     


Pour sa part, le CIRDI a estimé que l’Etat tunisien est seul responsable dans ce dossier vieux de 30 ans. Il lui reproche en effet d’avoir exproprié l’investissement d’ABCI Investments Limited, organisé un déni de justice du temps de la dictature, et violé le droit de l’actionnaire majoritaire de la BFT, à gérer sa propriété, et ce faisant fi du droit tunisien et du droit international.


Pendant près de trois décennies de bataille judiciaire, alors que l’ABCI poursuit l’État tunisien pour spoliation, la BFT fut gérée par l’État. Elle a été menée à une quasi faillite en raison initialement des pratiques de l'ancien régime de Ben Ali et de ses proches. Ce dossier n'a pas non plus été pris suffisamment au sérieux par les gouvernements successifs après la révolution de 2011.


Préoccupé aussi, le FMI avait évoqué l'affaire de la BFT depuis juillet 2016, et avait implicitement anticipé et évalué ses répercussions sur l'économie tunisienne et sur le budget de l'Etat.


Fin 2018, un administrateur provisoire, Houcine Saghari, avait été nommé afin d’évaluer la viabilité de la BFT, avec la possibilité d’en devenir le liquidateur. Actionnaire majoritaire de la banque, la STB dispose d'environ 300 filiales et participations. Parmi celles-ci, la Tunisian Foreign Bank à Paris et Marseille. La STB détient par ailleurs 25 % de la Société nigérienne de banque, implantée au Niger et au Bénin.