Tunisie. Abir Moussi, placée sous mandat de dépôt
« Jusqu’où pourra aller la folie procédurière du régime ? », s’interroge une partie de l’opposition tunisienne, en apprenant que la cheffe du Parti destourien libre (PDL) restera bien, elle aussi, en prison. Abir Moussi, qui revendique l’héritage de Ben Ali, a en effet été placée sous mandat de dépôt au terme d’une garde à vue de 48h.
Nous en savons davantage aujourd’hui à propos des chefs d’accusation auxquels doit faire face cette opposante « high profile » à Kaïs Saïed, et ils ne sont pas des moindres. Arrêtée le 3 octobre aux abords du Palais présidentiel, elle n’est pas accusée cette fois que de simple trouble à l’ordre public, après qu’elle se soit présentée au palais présidentiel pour déposer des recours contre des décrets émis par Carthage qu’elle estime illégaux.
Le deuxième chef d’accusation retenu contre la leader destourienne est ainsi le délit d’usage de données personnelles (une vidéo d’agents des forces de l’ordre à visage découvert, sans le consentement de ces derniers). Mais c’est surtout la « tentative de renversement du pouvoir et incitation au chaos sur le sol tunisien », relevant du pénal, qui constitue sans doute le chef d’accusation le plus grave à son encontre, potentiellement synonyme de peine de mort dans le code pénal tunisien, rien de moins, en vertu de l’article 72 sous le chapitre relatif à la sûreté de l’Etat.
« Règlement de compte politique »
Pour Adnane Belhajamor, soutien de Moussi à la course encore non officielle à la prochaine présidentielle, « il fallait s’attendre à cette répression de la part d’un pouvoir qui tente de rétablir la chape de plomb au-dessus du pays, n’ayant pas appris les leçons de l’Histoire récente ».
Véritable modus operandi pour cette avocate figure forte de la vie politique en Tunisie ces dernières années, filmer en direct ses actions choc et autres plaintes judiciaires était devenu une signature. Anti-islamiste acharnée, Abir Moussi souvent considérée clivante par ses adversaires politiques, était l’une des seules opposantes à Kaïs Saïed à être en mesure de mobiliser encore dans la rue parmi ses fidèles militants, elle qui refusait de rejoindre les coalitions d’opposition.
« C’était l’une des dernières figures de l’opposition à être encore en liberté », ironisent ses partisans mais aussi certains de ses ennemis d’hier qui se solidarisent désormais avec elle par principe.
Reste que cette arrestation est un coup dur pour son parti qui s’articulait autour de sa seule personne charismatique. Or, cette judiciarisation supplémentaire de la vie politique intervient dans un contexte tendu où de nombreux détenus politiques ont entamé une grève de la faim en réaction à la prolongation de leur détention, sans date de procès après bientôt 8 mois de procédure.
Pour l’avocat et ex député PDL Karim Krifa, l’arrestation de sa cliente « ne respecte pas les dispositions du décret-loi n°2011-79 portant organisation de la profession d’avocat ». Selon l’article 46 dudit décret-loi, dans le cas de poursuites pénales engagées contre un avocat, le président de la section régionale compétente du barreau doit en être avisé immédiatement, alors que le président de la section a été avisé 48h après l’arrestation de Abir Moussi, a-t-il rappelé.
S’il s’avère que des vices de procédure entachent son mandat de dépôt, le comité de défense axera notamment sa stratégie sur ces manquements présumés, assure-t-il, pour internationaliser l’affaire.