Abandon du foulard lors de la prestation de serment, un non-évènement
La députée Hajer Ben Cheikh Ahmed du parti Afek Tounes (droite néolibérale) a prêté serment vendredi 16 septembre devant l'Assemblée des Représentants du Peuple « sans voile ni posture » revendique-t-elle, la main nonchalamment posée sur le Coran. Féministes et modernistes tunisiens saluent pour certains « un acte héroïque », ou encore un « moment historique ». Est-ce vraiment une première comme l’annoncent certains sites ? Et en quoi l’obsession autour du voile est-elle toxique pour le débat sociétal ?
Native de 1970 à la Marsa, diplômée de sciences po et reconvertie dans la présentation d’émissions radio, l’élue en question, deuxième sur la liste électorale Afek, officialisait ainsi son remplacement de Riadh Mouakher, devenu ministre des Affaires locales et de l’Environnement, conformément à l’article 24 du règlement intérieur de l'Assemblée des Représentants du Peuple.
Au milieu de ses collègues députés de droite tout sourire, Hajer Ben Cheikh Ahmed se lève prêter serment sans voile ni même le léger foulard utilisé en signe d’humilité ou de solennité en Tunisie et au Maghreb par les femmes non voilées.
Depuis, le geste fait débat sur les réseaux sociaux tunisiens : « Cela ne change rien », tempèrent-on y compris parmi des pratiquants, tandis que d’autres n’hésitent pas à dénoncer un « manque de respect aux institutions et aux livres sacrés, même selon les standards contemporains de certaines sociétés judéo-chrétiennes ».
Interrogée par le Courrier de l’Atlas, l’ancienne élue de l’Assemblée constituante Mabrouka Mbarek rappelle que « cela n’a rien d’exceptionnel. En 2011, nous étions plusieurs à prêter serment sans foulard. Mais à l’époque, l’attention était focalisée sur la révolution.
Vérification faite en visionnant la vidéo inaugurale de l’ANC, les deux anciennes élues Ettakatol Karima Souid puis Nefissa Wafa Marzouki, tout comme l’ancienne élue Nadia Chaabane (ex Pôle démocratique moderniste puis al Massar) n’étaient également pas voilées au moment de prêter serment.
Sur son compte Facebook, la députée Hajer Ben Cheikh Ahmed explique ce geste pour elle « symbolique » en ces termes : « Ni foulard, ni posture… Occupons-nous de ce qui est essentiel pour le pays. Les protocoles injustes sont faits pour être bravés. Le port du foulard est une question de liberté individuelle. Point à la ligne ».
Or, la députée ne fait-elle pas l’inverse de ce qu’elle dit, ayant tout fait pour mobilier l’attention médiatique, au moment où son parti propose toujours d’aller plus loin dans les privatisations.
Une affaire symptomatique d’une crispation identitaire
Fadhel Ben Achour, secrétaire général du Syndicat des cadres et agents des mosquées, explique pour sa part que le port du voile lors du serment n'est « ni une obligation, ni une "sunna" mais plutôt une habitude ». En Tunisie, aucune loi ni mesure du règlement intérieur n'oblige en effet à le faire.
Tempête dans un verre d’eau donc ? Pas tout à fait. Au moment où de l’autre côté de la méditerranée, le débat stigmatise en France les populations immigrées autour du « burkini » et où la police municipale de villes votant à droite, désavouées par le Conseil d’Etat, interpelle de façon surréaliste les baigneuses pour « degré de nudité non conforme », le féminisme radical, en l’occurrence celui pratiqué par la droite dite progressiste, veut enfoncer le clou.
Où s’arrête la limite entre liberté et éradication ? La vague de louanges de l’acte somme toute banal de Heger Ben Cheikh Ahmed révèle une société malade de son identité, où d'aucuns sont nullement intéressées par la paix sociale, et davantage dans une logique suprématiste que consensuelle.
Ainsi un geste banal en 2011, fait la Une des médias aujourd’hui. Si comme pour l’affaire Kamel Daoud, il est parfois difficile de distinguer entre rhétorique libertaire et tentation éradicatrice, une partie de la sphère politico-médiatique tunisienne tend à rendre le débat de société toxique avec son obsession du voile.
Cela prouve, si besoin est, que la question sociale n'est plus la boussole des sphères du pouvoir, délaissée au profit d’un bras de fer idéologique stérile que l’on croyait révolu.
Seif Soudani