A Tunis, les premiers effets de l’assaut de Haftar sur Tripoli se font sentir
Le Conseil de sécurité de l'ONU tient aujourd’hui mercredi 10 avril une réunion d'urgence à huis clos sur la situation Libye, au septième jour de l’offensive militaire du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli. Vu de Tunis, l’inextricable conflit libyen divise et inquiète, étant données ses très concrètes conséquences commerciales, économiques et migratoires.
Bruit de bottes. Pour galvaniser ses hommes, le maréchal Haftar ordonne à ses troupes "d'avancer" sur Tripoli "maintenant que l'heure a sonné"
Tunis – Dans les quartiers huppés de la capitale, mais aussi les régions du sud frontalières à une centaine de kilomètres seulement de Tripoli, les véhicules immatriculés en Libye, reconnaissables à leurs plaques blanches, se multiplient à vue d’œil, jusqu’à atteindre une visibilité numérique comparable aux niveaux atteints durant les premières années post révolution libyenne.
Une semaine de combats aux portes de la capitale libyenne a manifestement suffi à décider des milliers de Libyens à regagner une fois de plus la Tunisie voisine, alors que ce qui a représenté depuis 2011 une terre d’accueil et d’exil momentané avait commencé ces dernières années à se dépeupler de ses ressortissants libyens. Quelque 3.400 personnes ont déjà été déplacés ces derniers jours par les combats, selon l'ONU.
Déjà en crise, l’économie tunisienne, dont 40 à 50% selon les estimations les plus basses, s’articule autour des circuits d’importation parallèle et de contrebande, subit de plein fouet un climat anxiogène au moment où les barrages frontaliers se referment pour limiter l’afflux des réfugiés, mais aussi face à la crainte d’infiltration de groupes armés.
L’assaut inquiète par ailleurs au plus haut point le parti Ennahdha, toujours proche de Fajr Libya et du pouvoir de Tripoli.
Des nouvelles du front
Militairement, les développements s’accélèrent de façon quotidienne, comme en l’illustrent les mises à jour régulières des chaines TV et des réseaux sociaux acquis à la cause du maréchal Haftar qui, à 75 ans, espère réaliser la plus grande conquête militaire de sa tumultueuse carrière.
Clivés dans un premier temps sur leur analyse de cette soudaine aventure militaire, les éditorialistes qui hésitaient entre la qualifier de « coup de bluff » pour certains « pour peser davantage la veille de la réunion onusienne » ou « véritable offensive à prendre au sérieux » pour d’autres, doivent désormais se rendre à l’évidence au vu de l’ampleur des forces engagées dans la bataille, de la double bénédiction émiratie et égyptienne, ainsi que de l’aval à demi-mot de l’Arabie Saoudite, malgré les démentis officiels de tout ingérence de la part de cet axe géopolitique et financier. « He means business », a ainsi dû reconnaître à propos des intentions de Haftar un expert de la question libyenne invité par CNN.
De son côté l'ONU a annoncé mardi le report sine die d'une conférence interlibyenne qui devait aider le pays à « sortir du chaos ». « Nous ne pouvons pas demander aux Libyens de participer à la Conférence, au moment où les canons tirent et des raids aériens sont menés », a ainsi déploré l'émissaire de l'ONU pour la Libye, Ghassan Salamé.
Malgré les appels à la retenue de la communauté internationale, l’homme fort de l'est libyen et son Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée continuent de mener une violente et déterminée attaque pour s'emparer de Tripoli.
Soutenu par une autorité basée dans l'est du pays mais non reconnue internationalement, Khalifa Haftar espère ainsi étendre son emprise sur l'ouest de ce pays pétrolier, alors qu'il contrôle déjà l'est et plus récemment 80% du sud du pays.
Mais, en face, les forces loyales au Gouvernement d'union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale, affirment être résolues à mener une contre-offensive généralisée, dénommée "Volcan de la colère". Les organisations internationales craignent que les civils ne fassent une nouvelle fois les frais de ces affrontements interlibyens.
Selon le dernier bilan du ministère de la santé du GNA arrêté dimanche soir, au moins 35 personnes ont été tuées depuis le 4 avril. Les forces pro-Haftar font état d’ « uniquement » 14 morts parmi leurs combattants. Après une nuit plutôt calme, les combats ont repris à une trentaine de km au sud de la capitale, en particulier à Gasr Ben Ghachir et Wadi Rabi, selon une source de sécurité à Tripoli.
Capacité de frappes aériennes
Nous savions que les deux camps revendiquent une aptitude, déjà mise à contribution, de bombardements aériens. Le porte-parole des forces pro-GNA, le colonel Mohamad Gnounou, s’est félicité à ce titre du fait que les forces pro-Haftar avaient été repoussées vers les régions de Soug Al-Khamis et Al-Aziziya, plus au sud.
M. Gnounou a fait état de plusieurs raids aériens menés par les pro-GNA contre des positions de l'ANL au sud de Tripoli, ainsi que contre ses lignes d’approvisionnement dans le centre du pays.
De son côté le porte-parole de l'ANL, Ahmad al-Mesmari, a accusé le GNA de s' « allier avec des milices islamistes ». « La bataille n'est plus aux mains de (Fayez) al-Sarraj. Elle est désormais aux mains des terroristes », a-t-il affirmé lors d'une conférence de presse de Benghazi, citant notamment des milices venues de Misrata (200 km à l'est de Tripoli). Les deux camps proclament quotidiennement des « avancées » mais jusqu'ici, sur le terrain, aucun des deux ne semble dominer les combats.
L'ANL a revendiqué dès lundi un raid aérien contre l'aéroport de Mitiga, le seul qui était encore opérationnel dans la capitale, provoquant la suspension immédiate des vols et l'évacuation de l'aéroport, et ce alors que le GNA se voulait jusqu’ici rassurant sur la non interruption totale du trafic aérien.
En attendant, les combats compromettent le processus politique, et le report de la Conférence nationale libyenne prévue du 14 au 16 avril à Ghadamès paraissait désormais inéluctable.