A Tunis, le Qatar déploie sa puissance financière
Pas moins de dix accords et mémorandums d’entente ont été signés ce weekend entre la Tunisie et le Qatar, à l’issue de la réunion élargie de la 7ème session de la Haute commission mixte tuniso-qatarie tenue au palais Dhiafa à Carthage. Plus discrètement, les qataris de Majda Tunisia Holding ont dans le même temps fait main basse sur la banque Zitouna. Explications.
Signés en présence du chef de gouvernement, Youssef Chahed, et du Premier ministre et ministre de l’Intérieur qatari, Cheikh Abdallah bin Nasser bin Khalifa Al Thani, ces accords se déclinent comme suit :
Accord de coopération dans le domaine du transport maritime entre les gouvernements tunisien et qatari, mémorandum d’entente entre le ministère du Transport et le ministère qatari des Transports et de la Communication dans le domaine des ports maritimes et commerciaux, mémorandum d’entente portant reconnaissance mutuelle des certificats délivrés aux marins, ainsi qu’un accord sur divers services aériens.
Un premier programme exécutif de l’accord de coopération dans le domaine de la jeunesse et du sport 2019 – 2020 a par ailleurs été signé, accompagné d’un mémorandum d’entente dans les domaines du tourisme et du tourisme des affaires, du troisième programme exécutif de l’accord culturel et technique entre le gouvernement tunisien et le gouvernement du Qatar 2019 – 2020 – 2021, d’un mémorandum d’entente dans les domaines de la promotion de l’industrie, de l’innovation et du développement technologique, et enfin un mémorandum d’entente pour le jumelage entre la municipalité de Doha, et la municipalité de Tunis qui pour rappel est dirigée depuis juillet 2018 par la maire Ennahdha Souad Abderrahim.
Les dessous de la cession de la Banque Zitouna au groupe qatari Majda Holding
La même semaine, une opération comparable à une OPA était réalisée avec la cession pur et simple de la Banque Zitouna et de Zitouna Takaful, deux des principaux fleurons de la finance islamique en Tunisie, au groupe Qatari Majda Tunisia Holding pour la bagatelle de 370 millions de dinars tunisiens (soit 108 millions d’euros).
C’est Al Karama Holding, qui gère les biens confisqués des proches de Ben Ali, en l’occurrence ceux de son gendre Sakher Materi, qui a cédé les deux établissements bancaires où les parts de l’Etat tunisien dans les entreprises sous séquestre des deux banques représentent 69,5% de Zitouna et 70% de Takaful. Et l’acquéreur de ces parts est donc la société Majda Tunisie, propriété de Sheikha Mozah, mère de l’actuel Emir Tamim du Qatar.
L’enjeu n’est pas anodin, selon le spécialiste Farouk Ben Ammar, qui explique dans une tribune que « les enjeux sont aussi bien politiques que financiers, voire de souveraineté ». Pour cet expert docteur en ingénierie, celui qui contrôle le système bancaire d’un pays en contrôle la majorité des activités, un adage vieux comme le monde de la finance.
Mais la récente décision de la Banque Centrale de Tunisie de réviser vers la hausse le TID (taux d’intérêt directeur) de 100 points, à 7.75 %, avait soulevé un tollé en particulier auprès du patronat.
Or, quand une banque a un excès de liquidités, à l’image de la Zitouna Banque aujourd’hui et surtout demain avec des milliards potentiellement injectés, « celle-ci peut se permettre de faire du dumping et prêter de l’argent à des taux d’intérêt nettement plus bas que ceux du marché » explique Ben Ammar. Une pratique appelée « dumping », censée élargir de façon agressive les parts de marché, en octroyant parfois des crédits quasiment à perte.
Dès 2003 au Maroc, “Bank Al Maghrib”, la Banque Centrale du Maroc, avait mis en garde les banques de la place contre le dumping, qui risquait de déstabiliser tout le système financier du royaume pour cause de surliquidités, et avait dû fixer, à l’image de la Banque de France, un taux minimum, rappelle ainsi la même source.
C’est précisément ce type de stratégie que chercherait le nouveau leadership de Zitouna Bank, désormais fort des « ressources financières intarissables » du Qatar conjugué à la « finance islamique halal » qui séduit un nombre croissant de Tunisiens ces dernières années. Pour s’en convaincre, il suffit d’étudier les nouveaux spots publicitaires de la banque qui dès fin février communiquaient déjà sur les taux d’intérêt inchangés pour ses clients.
Si l’on y ajoute les ambitions, toujours début 2019, du qatari Ooredoo, leader du marché de la téléphonie en Tunisie, en matière de déploiement de la 5G dans le pays, on comprend mieux pourquoi le jumelage entre Tunis et Doha est avant tout une affaire de business… As usual!
Seif Soudani
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