Tunisie. A Davos, les efforts de lobbying de Najla Bouden sont-ils vains ?

 Tunisie. A Davos, les efforts de lobbying de Najla Bouden sont-ils vains ?

Au terme de trois jours de participation au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, la cheffe du gouvernement Najla Bouden voit sa mission compromise au pire moment par une situation nationale qui ne répond pas aux requêtes de stabilité politique des bailleurs de fonds.  

Universitaire géologue de formation, Bouden s’est attardée sur le phénomène de fuite des cerveaux qui impacte de plein fouet la Tunisie ces dernières années

L’invitation intervient à un moment où tous les indicateurs macroéconomiques du pays sont dans le rouge vif, où les négociations avec le Fonds monétaire international tardent à démarrer, et où Bouden elle-même est de plus en plus contestée jusque dans le camp pro président Saïed agacé par ses récentes maladresses linguistiques de non arabophone. La cheffe de gouvernement, francophone mais aussi anglophone, avait donc sans doute à cœur prouver aux Tunisiens qui connaissent à peine le son de sa voix qu’elle peut tout du moins faire valoir ses qualités en les représentant à l’étranger.

A Davos depuis le 22 mai, Najla Bouden était accompagnée par une délégation composée de la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouen Abassi. La présence de ce dernier, traditionnellement requise par le protocole, est cette année loin d’être évidente, tant la récente augmentation du le taux directeur (TMM) par la BCT, de 6,25% à 7%, a causé des remous y compris au sein du pouvoir exécutif qui a laissé entendre qu’il n’a pas été consulté pour cette décision.

Najla Bouden et Marouane Abassi, gouverneur de la BCT, ont affiché une complicité de circonstance

Lors de ce forum, dont les travaux se poursuivront jusqu’au 26 mai 2022, Bouden a multiplié les têtes-à-têtes avec plusieurs personnalités internationales dont des chefs d’État et de gouvernement, et des chefs d’institutions et de structures financières internationales et des groupes économiques internationaux. Environ 2500 chefs d’État, hauts fonctionnaires et experts en affaires économiques sont attendus à cette messe gigantesque qui se tient cette année en pleine relance post pandémie.

 

Un timing fatal à l’intense lobbying auprès du FMI

Répondant à des médias nationaux en marge de sa participation au forum, la ministre des Finances, Sihem Nemsia, a indiqué que ce fut notamment une occasion pour la délégation tunisienne de rencontrer la présidente du FMI, Kristalina Georgieva. Une réunion que Nemsia a qualifié d’« importante et fructueuse ».

« Une grande partie des réformes entreprises par le gouvernement est conforme au programme à appliquer dans le cadre d’un accord avec le FMI. Les solutions proposées dans le cadre de ce programme ont été approuvées par le fonds. Nous nous sommes mis d’accord sur la poursuite des échanges afin de se préparer à entamer des négociations officielles entre les deux parties… Nous ne pouvons être qu’optimistes ! », s’est évertuée à expliquer la ministre, tout en rappelant que le forum n’est pas le cadre adéquat pour entamer des échanges et des négociations plus en profondeur.

Sauf que ce que ne dit pas Nemsia, c’est que l’un des prérequis essentiels au démarrage de ces négociations réside dans la requête insistante du FMI d’un accord avec l’ensemble des acteurs politico-économiques du pays, incluant la centrale syndicale UGTT. Or, c’est précisément la perspective d’un tel accord qui s’est plus que jamais éloignée depuis lundi, lorsque l’UGTT a annoncé l’entame d’un bras de fer sans précédent avec le président Kais Saïed. Ses dirigeants refusent en effet de prendre part à tout dialogue national ornemental, une fin de non-recevoir assortie de surcroît d’une menace de grève générale si les salaires de la fonction publique ne sont pas revalorisés sous peu.

Au-delà de cette mission quasi impossible qui se profile à deux mois du 25 juillet, date du référendum présidentiel sur l’adoption d’une nouvelle Constitution pour le pays, c’est le maintien de Najla Bouden elle-même à la tête de son gouvernement qui semble de plus en plus incertain.

Car si de nombreuses sources annonçaient dès le début de l’année qu’elle « ne passerait pas le printemps », sa confirmation à la Kasbah est aujourd’hui étroitement corrélée à l’obtention du déblocage d’un prêt vital du FMI. En cas d’échec, elle serait alors l’un des nombreux collaborateurs sacrifiés par Carthage sur l’autel de son projet de « nouvelle République », un projet qui s’autorise tous les boucs émissaires.