Tunisie – A Carthage, la crise de régime bat son plein

 Tunisie – A Carthage, la crise de régime bat son plein

Au moment où le couvre-feu sanitaire est prolongé de 3 semaines supplémentaires et où le pays enregistre des records inédits de contaminations au Coronavirus, la classe politique tunisienne s’enfonce dans des luttes personnelles attisées par le style de gouvernance acrimonieux du président de la République Kais Saïed.

 

Une fois de plus, le Palais de Carthage a ainsi choisi la confrontation directe, houleuse et filmée, exposant le linge sale et la cuisine interne de la cohabitation, au vu et au su de tous. Pour ce faire, le chef de l’Etat a convoqué le 25 janvier une réunion du Conseil de sécurité qu’il préside, mais à laquelle il a entrepris de convier des intrus protocolaires, à l’image de la députée Samia Abbou actuellement sur sa même ligne politique.

L’objectif est clair : prendre à témoin l’opinion, la veille du vote de confiance à l’Assemblée, sur ce qu’il considère comme des irrégularités procédurales du récent remaniement ministériel proposé par le chef du gouvernement Hichem Mechichi, présent à la réunion et tancé une énième fois tel un vulgaire subalterne qu’il s’agit d’humilier publiquement.

Mais tant sur la forme que sur la manière, 30 longues minutes d’un pénible monologue, la maladresse est telle qu’elle isole davantage encore un président qui se veut détenteur de la pureté révolutionnaire, quitte à verser dans l’obsolescence, voire le grotesque.

Une soporifique leçon de droit constitutionnel

Dans des saillies en arabe littéraire et théâtral à en perdre son masque, Saied a estimé que le changement de 11 ministres (des hommes et des femmes réputés proches de lui) n’a pas respecté les dispositions de la Constitution. Notamment l’article 92 qui stipule que l’amendement de la structure gouvernementale intervient après délibération du conseil des ministres.

Un argument d’autorité du constitutionnaliste qu’il est certes, mais qui est loin d’être infaillible, étant donné que la notion même de « changement de structure » reste ici sémantiquement imprécise dans le cas d’un changement ne touchant que le tiers de l’équipe en question.

« Le projet de remaniement qui constitue une procédure fondamentale n’a pas été débattu en Conseil des Ministres », a-t-il ensuite fait observer en s’adressant au chef du gouvernement non autorisé à prononcé un mot pour sa défense, malgré son rang exécutif supérieur au président et locataire des lieux.

« Je n’ai reçu qu’une simple correspondance m’informant a posteriori de ce remaniement. La présidence de la République n’est pas une boîte à lettres ! », a-t-il tenu à déplorer sur le même ton de la menace. « Une telle correspondance doit d’abord être adressée au président de la République qui la soumettra, après examen, au Parlement », a ajouté Saïed.

Les logorrhées révolutionnistes de Carthage n’intéressent plus grand monde

Citant Bourguiba qui n’avait pas osé pareille manœuvre en son temps, Saïed a également critiqué la décision du chef du gouvernement de s’auto-confier l’intérim du ministère de l’Intérieur après le limogeage du ministre. Mais là encore, si aucune jurisprudence n’existe en effet en ce sens, rien ne stipule une interdiction légale claire de l’opération.

S’en suit alors l’entame du volet de prédilection favori de Kais Saïed : l’inquisition anti-corruption. « Les personnes suspectées d’être impliquées dans des affaires de corruption ou de conflit d’intérêts ne devraient pas prêter serment », faisant en cela allusion à quatre ministres proposés ayant supposément des affaires judiciaires en cours les concernant de façon plus ou moins directe.

« Je voudrais informer le peuple tunisien que toutes mes initiatives de réforme ont été vaines, sapées par le système en place. Mais jusqu’à mon dernier souffle je protègerai la révolution ! », a conclu le président Saïed sur le ton héroïque-fiction du cavalier seul, avant de lever la séance face à des convives médusés. C’est omettre qu’en tant que l’un des lieux d’exercice du pouvoir, Carthage ne saurait se soustraire à ce même « système ».

Sorte de présidence altermondialiste proche du romantisme des dictatures d’Amérique latine ou encore des régimes baathistes, affectionnant les solennités militaires et se présentant comme proches du peuple, l’année écoulée du mandat Saïed laisse présager d’une phase de quatre années restantes d’un pouvoir dépourvu des moyens de sa politique.

Sans l’envergure nécessaire à une hypothétique dissolution du Parlement, le président s’auto relègue au rôle associatif de la condamnation et de l’indignation permanentes. Plus isolé que jamais dans une tour d’ivoire de la rancune, de l’obstination bornée et du populisme, Carthage s’enferme dans l’exercice régulier d’une poésie verbale et émotionnelle qui n’intéresse plus personne.

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