A Bizerte, les habitants se réapproprient « leur » monument aux Martyrs

 A Bizerte, les habitants se réapproprient « leur » monument aux Martyrs


Bien rodée depuis plusieurs décennies, la fête de l’Evacuation à Bizerte a été émaillée pour sa 53ème commémoration le 15 octobre 2016 d’un incident protocolaire qui n’est pas passé inaperçu. La polémique enfle en effet depuis que le maire de la ville a été empêché d'accéder au Carré des Martyrs en compagnie de la délégation des trois présidences venues de Tunis. 




 


Comme chaque année, la commémoration fait l’objet de diverses plaisanteries sur la rénovation superficielle des routes et infrastructures locales, histoire d’impressionner le cortège présidentiel. Mais cette année les efforts de la municipalité n’ont visiblement pas suffi au maire de la ville Mohamed Riadh Lazzem (appelé chef de la délégation spéciale, en attendant les premières élections municipales depuis la révolution) pour rentrer dans les bonnes grâces du protocole présidentiel de Béji Caïd Essebsi.  


Habitué à gravir les marches avec la délégation et lire la « fatiha » au pied du monument aux martyrs, le maire est cette fois repoussé par le service de sécurité. Lorsque l’homme à l’écharpe reste en porte-à-faux du groupe, cela se voit aussitôt, d’autant que la situation ubuesque le fait sourire et s’adresser aux médias présents, eux aussi tenus à l’écart au profit de l’agence de communication assurant la couverture des activités de la présidence.  


L’homme prend son mal en patience, plutôt fairplay malgré l’humiliation manifeste, il remettra malgré tout les clés de la ville au président Essebsi. Mais l’image qui circule du « cheikh de la ville » esseulé et tête baissée ne passe pas auprès de nombre d’habitants. « C’est le propriétaire des lieux, et c’est ainsi qu’on le traite… », commente un observateur de la scène.  


Dès hier dimanche 16 octobre, 11 membres de la délégation spéciale (équivalent de l’hôtel de ville) présentent leur démission, en signe de solidarité et de protestation contre ce qu’ils estiment être un affront.


Deux députés de Bizerte protestent également : Lamia Driri du bloc de l’Alliance démocratique, et Bechir Lazzem du bloc Ennahdha, parent du maire. Une parenté qui pourrait expliquer le sort réservé au maire, spéculent en tout cas des internautes qui suspectent un geste motivé politiquement.  


Dimanche toujours, des bizertins ont symboliquement et spontanément envahi les lieux dès la matinée, avec un sit-in remake de la commémoration, revendiquant une souveraineté qui n’est pas sans rappeler la logique de défiance observée récemment à Kerkennah ou encore à Jemna où des citoyens n’ont pas hésité à défier les autorités locales suite à des épisodes où ils estiment avoir été lésés par un Etat dans lequel ils ne se reconnaissent plus.


L’incident est quoi qu’il en soit symptomatique de l’isolement d’une élite politique qui s’auto congratule entre décideurs en pareille occasion et tend à se déconnecter de certaines réalités qu’elle méprise ou sous-estime.


 


S.S