Tunisie. 2,8 % de croissance, « une statistique trompeuse » ?
Selon les chiffres publiés à la mi-août par l’Institut national de la statistique (INS), l’économie tunisienne a enregistré une croissance de 2,8%, en rythme annuel, au deuxième trimestre 2022, qui fait suite à une progression annuelle de 2,4% enregistrée au trimestre précédent. Pour l’économiste Ezzeddine Saidane, cette statistique cache une réalité plus complexe et moins flatteuse. Explications.
Les derniers chiffres en date de l’INS montrent que la croissance a été tirée par les évolutions enregistrées dans les services (+5,2% en rythme annuel), essentiellement grâce à la reprise du tourisme. Ainsi le secteur de l’hébergement et la restauration (+42,5%) et celui du transport (+19%), en sont les principaux bénéficiaires. Dans les industries manufacturières en revanche, le rythme de la croissance a baissé à 4,8% contre 5,3% au premier trimestre. Les principales contractions ont affecté les énergies (-9,2%), en raison de la baisse des activités pétrolière et gazière de -15,7% et du ralentissement de la croissance dans le secteur minier à -6,3%.
Stratagème sémantique
« Il n’y a qu’une seule façon de lire les chiffres », ironise aujourd’hui l’expert Ezzeddine Saidane. Le produit intérieur brut PIB en volume du deuxième trimestre 2022 s’est en effet contracté de 1% par rapport au premier trimestre de la même année. C’est là la seconde donnée occultée aujourd’hui par les officiels.
Soyons clairs, l’INS a parlé de croissance de 2,8% « en glissement annuel », précise l’économiste, ce qui inclut les 12 mois compris entre juillet 2021 et juin 2022. Car à y regarder de plus près, si l’on prend la croissance du deuxième trimestre 2022, comparé au premier trimestre de la même année, nous sommes à -1% de croissance, ce qui explique la contraction du PIB. « -1% de croissance en un seul trimestre, cela devrait nous alarmer au lieu de nous réjouir », souligne la même source.
Même constat de tendance baissière s’agissant du premier trimestre 2022 : il enregistre une baisse tout aussi préoccupante de -0,7% par rapport au dernier trimestre 2021. « Cela veut tout simplement dire que pour le premier semestre de l’année 2022 en cours, la croissance est négative ».
Cette croissance négative intervient après les -9% de croissance pour l’année 2020 en Tunisie, un taux que l’on doit à l’impact que l’on connait de la situation sanitaire mondiale, suivi d’un redressement de 3% en 2021, que Saidane qualifie de dérisoire comparé à des économies voisines ou comparables à la nôtre. Il estime que nous sommes par conséquent encore très loin de l’état de l’économie tunisienne de 2019, ce que ne reflètent pas les chiffres de l’INS pris isolément.
Réserves de change à moins de 90 jours
Autre aspect moins reluisant oblitéré par le pouvoir, les réserves de change de la Tunisie seraient déjà en dessous de la ligne rouge de 90 jours d’importation. La notation souveraine de la Tunisie a pour rappel été revue à la baisse à neuf reprises consécutives par les agences de notation Moody’s et Fitch Ratings. Ainsi avant 2011, la Tunisie était notée BBB+ avec une perspective positive. Elle était ainsi à un pas d’une notation A. Mais notre notation avait commencé à être revue à la baisse depuis 2011 pour atteindre en 2021 la notation CCC-, assortie d’une perspective négative.
Conséquence directe de ces révisions à la baisse : la Tunisie est progressivement exclue du marché financier international de l’emprunt, via une augmentation accrue du taux d’intérêt d’une part ainsi qu’une réduction de la durée de remboursement des crédits que le pays est en mesure de contracter.
Or, étant donnée la crise des finances publiques, l’État tunisien n’a quasiment remboursé aucun de ces crédits, explique le même économiste. À chaque échéance de remboursement l’État demande aux banques un nouveau prêt pour rembourser celui qui est arrivé à échéance. Autant dire que le système bancaire tunisien se trouve aujourd’hui piégé par une série de prêts en devises financés par des dépôts à vue appartenant essentiellement à des clients étrangers non-résidents.
« Si un jour l’État décide de rembourser ces prêts, ce remboursement se traduirait par une baisse très importante des réserves de change du pays. Ceci nous fournit une preuve supplémentaire quant au fait que les réserves de change, telles que calculées par la Banque centrale de Tunisie, et exprimées en nombre de jours d’importation, sont largement surestimées », indique Saidane, pour qui les réserves de change de la Tunisie seraient en réalité déjà largement en dessous de la ligne rouge des 90 jours d’importation. A 8,2% en juillet 2022, l’inflation atteint par ailleurs son plus haut niveau depuis 31 ans.