Camus et le coronavirus

 Camus et le coronavirus


Souffle-t-on les soixantièmes bougies de la mort d’Albert Camus ou pousse-t-on jusque dans nos lectures notre obsession autour du coronavirus ? Quoiqu’il en soit, depuis début 2020, les éditions Gallimard ont déjà écoulé 40% des quantités habituellement vendues en une année pour La Peste de Camus. Cette fiction, publiée en 1947, pourrait effectivement trouver son écho aujourd’hui…


Nous sommes à Oran, « une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne », en 1940. La journée, les habitants s’acharnent au travail et font des affaires, pour s’enrichir. Le soir, ils traînent dans les cafés et flânent dans les rues, perdant le temps qu’il leur reste pour vivre. Une ville moderne, en somme, où du moment qu’elle « favorise les habitudes, on peut dire que tout est pour le mieux ». A Oran, « tout demande la bonne santé. Un malade s’y trouve bien seul ».


La maladie


Un matin d’avril, le docteur Bernard Rieux trébuche sur un rat mort sur le palier de son cabinet. C’est le premier qu’il aperçoit. Le concierge de l’immeuble, Mr Michel, est convaincu qu’il s’agit d’une farce de mauvais goût, venue de l’extérieur. Mais le lendemain, lorsque le docteur Rieux se déplace dans les quartiers extérieurs de la ville pour rendre visite à ses patients les plus pauvres, ce sont une douzaine de rats morts qui sont entassés sur les déchets.


A ce stade, les citoyens ne s’inquiètent pas, et sont simplement intrigués par ce nouveau phénomène. Mais les jours passent, et ce sont alors des cinquantaines, centaines, puis des milliers de rats qui font surface et viennent mourir devant les yeux stupéfaits des habitants.


Les rats ne sont plus confinés dans les seules poubelles ni cantonnés dans les quartiers pauvres, ils sont dorénavant présents dans les administrations, les écoles, les cafés et les endroits les plus fréquentés du centre-ville : « On s’apercevait maintenant que ce phénomène dont on ne pouvait encore ni préciser l’ampleur ni déceler l’origine avait quelque chose de menaçant ».


La fièvre emporta en premier Mr Michel, suivi d’une cascade de nouveaux cas. Les morts s’empilent dans des fosses communes. Castel, un confrère du docteur Rieux, lui demande alors de déclarer une épidémie de peste. Car s’il s’en doute bien, Bernard Rieux ne veut pas l’accepter et rechigne à rendre public le nom de la maladie. Mais l’évidence est là, et la peste est déclarée.


Comme la peste qui a resurgi dans le roman de Camus, le coronavirus n’est pas une pathologie nouvelle. Différents coronavirus ont été identifiés pour la première fois chez l'humain dans les années 1960. Il s'agit de virus causant principalement des infections respiratoires, allant du rhume bénin à des pneumopathies sévères, parfois létales (comme le SRAS). 


C’est pourquoi le virus qui sévit actuellement a été baptisé SARS-CoV-2 (SARS pour "syndrome aigu respiratoire sévère" et CoV pour "CoronaVirus").


Mais celui-ci diffère des précédents notamment par sa forte contagion.


La maladie qu’il entraîne est nommée Covid-19. La contamination est d'origine animale. L'épidémie est partie d'un marché local de Wuhan en Chine, où on vend des animaux sauvages. Des scientifiques ont identifié le pangolin comme un éventuel hôte intermédiaire, soupçonné d'avoir transmis le coronavirus à l'homme.


Le pangolin est un petit mammifère couvert d'écailles menacé d'extinction, dont la chair est appréciée dans la gastronomie chinoise et vietnamienne. Un des autres suspects serait la chauve-souris. 


Comme le docteur Rieux, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) rechigne à poser des mots et juge qu’il est encore trop tôt pour user du terme pandémie liée au Covid-19.


Rappelons qu’une épidémie ne touche qu’une région donnée, tandis qu’une pandémie est la propagation mondiale à grande échelle dans plus de deux continents. Pourtant, tous les continents sont aujourd’hui affectés.


Le nombre de pays touchés par le coronavirus est en constante croissance. Au total, plus de 100.000 personnes ont été infectées dans près de 100 pays, et près de 4.000 personnes sont mortes à cause de ce nouveau virus.


Aussi, le nombre de nouveaux cas hors de Chine a dépassé le nombre de nouveaux cas dans le pays. Pourquoi ne pas alors parler de pandémie ? Car « l’utilisation imprudente du terme pandémie n’a aucun avantage évident et risquerait d’amplifier inutilement des peurs, une stigmatisation ainsi qu’une paralysie des systèmes de santé », a récemment déclaré le docteur Tedros Adhanom, directeur de l’OMS, avant d’ajouter que « cela indiquerait que nous ne pouvons plus contenir le virus, ce qui n’est pas vrai ». Rappelons que le virus est bénin dans l’écrasante majorité des cas.


La quarantaine


Le docteur Rieux demande à Richard, président de l’Ordre des médecins d’Oran, l’isolement de tous les malades. Face au nombre grandissant de décès, les autorités sont contraintes de fermer les frontières de la ville. Oran est mise en quarantaine. Complètement isolée du reste du monde, « on se sentait prisonnier du ciel ».


Les habitants sont séparés de leurs êtres aimés, l’atmosphère y est extrêmement pesante. Les expatriés ne peuvent communiquer avec leurs êtres chers que par le biais de télégrammes, et le journaliste Rambert s’évertue à s’échapper d’Oran pour retrouver sa bien-aimée à Paris.


L’écriture d’Albert Camus favorise ce sentiment d’isolation, de suffocation, et, comme les habitants, nous avons l’impression de tourner en rond. Dans une ville où sévit la terrible maladie, la vie s’en voit ainsi rongée.


Les images des villes chinoises mises en quarantaine, véritables villes-fantômes, nous projettent directement dans l’univers de Camus. C’est à Wuhan que la première mesure de confinement a été déclarée pour les 11 millions d'habitants de la ville du centre de la Chine.


Les lieux publics sont vides, les transports en commun interrompus, les écoles fermées et les rues désertes. Les entrées des résidences sont condamnées, et les habitants s’alimentent grâce à des actes solidaires.


L’Italie, de son côté, est le premier pays d'Europe à mettre des villes en quarantaine en isolant 11 communes où, ni les entrées ni les sorties sont autorisées, sauf dérogation particulière.


En France, dans le Haut-Rhin et l’Oise, les écoles et crèches seront fermées pendant au moins deux semaines. Mais il n’est pas encore envisagé de placer des villes en quarantaine.


Le remède


Dans La Peste, le médecin Castel met au point un nouveau sérum pour guérir de la maladie. Il le teste sur un enfant, qui finit par mourir. Mais des effets positifs se font ressentir, et l’espoir renaît quand le docteur Rieux assiste à la guérison étonnante de quatre de ses patients, et que les rats réapparaissent, mais cette fois-ci, bien vivants. Le froid de l'hiver a également joué son rôle en congelant la peste, et de moins en moins de morts sont dénombrés. Le 25 janvier, l’épidémie est endiguée, et Oran renaît dans une explosion de joie.


Si le froid a permis d’enrayer l’épidémie dans La Peste, pour le coronavirus au contraire, certains scientifiques affirment que les virus respiratoires sont plus résistants en hiver, et moins stables en haute température.


Depuis l’annonce de l’épidémie du coronavirus en Chine, les principaux laboratoires de recherche du monde entier sont dans la course pour mettre au point un vaccin efficace contre le Covid-19.


Toutes les équipes de recherche s’accordent à dire qu’il faut plusieurs mois pour mettre au point un vaccin efficace. Il faut compter entre 6 et 36 mois pour la production, le conditionnement et la distribution.


La commission européenne a déjà débloqué 10 millions d’euros pour la recherche. L’administration Trump a demandé au Congrès une enveloppe budgétaire de 2.5 milliards de dollars pour contrer l’épidémie (dont plus d’un milliard uniquement pour le vaccin).


Selon l’Institut Pasteur (père du vaccin contre la rage), une première génération de prototype basée sur celui de la rougeole pourrait voir le jour avant la fin de l’année 2020. Des premiers tests sur des souris sont prévus dans les jours à venir.


Le 12 février dernier, l’OMS a réuni à Genève des experts internationaux de premier plan (plus de 300 scientifiques et chercheurs), et des bailleurs de fonds pour faire le point sur la situation, faire face aux insuffisances et dysfonctionnements, et surtout collaborer efficacement contre la flambée du fléau.


Pour sa part, la Banque mondiale a débloqué 12 milliards de dollars pour aider les pays en développement à affronter l’épidémie. 


La lecture du prix Nobel de littérature 1957 est porteuse d’enseignements pour la gestion des fléaux sanitaires qui emportent des millions de vies humaines. Son roman nous ramène à notre humanité, à nos peurs, nos espoirs, notre combat contre l’ennemi commun.


Quelle que soit notre position ou notre classe sociale, La Peste, en mettant l’Homme face au chaos et à l’apocalypse, nous ramène à notre condition d’être humain face aux calamités. Mais ce que le récit d’Albert Camus met en avant, c’est essentiellement la solidarité : « il faut bien s’entraider », car « il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ».