Zinedine Soualem : « Je suis un vrai auvergnat, n’en déplaise à certains »
Acteur au jeu juste et subtil, il a donné vie à des personnages complexes et attachants dans une centaine de films de Cédric Klapisch à Raoul Peck. Il s'est illustré dernièrement sur scène dans “C’était quand la dernière fois ?”, une comédie douce-amère
Vous avez joué jusqu'au 28 avril dans une comédie un peu décalée, dans laquelle une femme annonce à son mari qu’elle l’a empoisonné. Qu’est-ce qui a vous séduit dans cette pièce ?
J’ai aimé son originalité, ses rebondissements, son caractère absurde, clownesque… C’est un huis clos très rythmé, qui réussit à maintenir sa tension jusqu’au bout. Je m’amuse beaucoup, nous avons une vraie complicité avec Virginie Hocq, ma partenaire. Entre l’humour noir, le burlesque, un côté théâtre de boulevard aussi, on ne joue pas tout le temps dans le même registre. Et puis, c’est très physique.
Vous avez plus de quarante ans de métier. Racontez-nous vos débuts ?
J’ai d’abord été mime de rue pendant des années. Je faisais des numéros comiques dans les écoles, les cafés-théâtres, au Festival d’Avignon… Je suis même allé au Japon. Cependant, à un moment donné, j’ai eu besoin de jouer avec les autres. Etre seul limite les scénarios, les histoires à raconter. Je suis alors venu à Paris et j’ai rencontré des passionnés. Un jour, le metteur en scène Patrice Chéreau recherchait des acteurs d’origine maghrébine pour Les Paravents de Jean Genet. A l’époque (en 1983, ndlr), nous étions peu nombreux. Coup de chance, j’ai été pris ! Je me suis retrouvé sur scène avec Maria Casarès et Dominique Blanc. Quel bonheur !
Vous avez joué dans une centaine de films. Quels réalisateurs vous ont le plus marqué ?
Cédric Klapisch est mon chouchou. On est devenus amis. Nous avons tourné une dizaine de films ensemble ! Chacun cherche son chat (1996, ndlr) a changé ma vie : ce film m’a fait connaître, et j’ai reçu des propositions. Il y a Dany Boon aussi, avec qui j’ai joué une pièce qu’il a ensuite adaptée au cinéma sous le titre La Maison du bonheur. Et Claude Lelouch, avec qui j’ai fait deux films, a un enthousiasme extraordinaire : il peut me proposer n’importe quel rôle, j’accepterai ! Ce sont tous des amoureux du cinéma et des comédiens.
Vous avez aussi tourné avec le réalisateur haïtien Raoul Peck dans “Moloch Tropical”, en 2009. Quel rôle y teniez-vous ?
Je jouais un président d’Haïti, un tyran déchu qui vit reclus dans une forteresse. Il se bat pour garder le pouvoir, mais n’est plus que l’ombre de lui-même. C’était magnifique car, après de nombreuses comédies, j’avais ce désir d’interpréter des personnages plus sombres, de vrais méchants. Comme ce braqueur psychopathe dans JCVD (en 2008, ndlr) de Jean-Claude Van Damme. C’était très agréable, même si je considère la comédie comme le genre le plus difficile… Quand on a une fibre comique, le reste paraît plus simple. Mais c’est un plaisir d’alterner les deux.
Votre interprétation d’un policier frappant des jeunes dans “La Haine” de Mathieu Kassovitz, en 1995, était brève mais remarquable. Comment avez-vous appréhendé ce rôle ?
C’est drôle car ce film a plus de 20 ans et, de temps en temps, des gamins qui n’étaient même pas nés à l’époque me reconnaissent ! C’est un très bon souvenir. J’ai improvisé cette scène où le policier brutalise ces jeunes. Au départ, Mathieu avait écrit un dialogue pour un autre type d’acteur, de silhouette imposante, ayant d’autres origines que les miennes. J’ai donc composé ce personnage, méchant, vicieux, en imaginant qu’il avait honte de ses origines et se vengeait en tapant sur des gens de la même origine que lui. C’est tout le travail du comédien de se mettre dans la peau de quelqu’un de différent, en se figurant son passé, sa famille, son quotidien… On s’invente une histoire pour donner de la chair au personnage. On se plie aussi à la vision du réalisateur, tout en apportant notre pierre à l’édifice. C’est un travail collectif, c’est ce qui me plaît.
Vous êtes français d’origine algérienne. Où avez-vous grandi ?
Je suis né en Auvergne, dans le Puy-de-Dôme. Je suis un vrai Auvergnat et je le revendique, n’en déplaise à certains ! J’y retourne très souvent voir ma famille. Mon “algérianité” fait aussi partie de moi. Issu d’une double culture, je suis un binational, j’ai deux passeports… L’Algérie, terre de mes parents, de mes ancêtres, est très chère à mon cœur même si cela reste un peu de l’ordre du fantasme, car je ne vis pas la réalité quotidienne du pays. Mais je revendique mes deux identités : on en a le droit et personne ne peut nous le retirer !
Pensez-vous que le cinéma français a évolué sur la place des minorités à l’écran depuis vos débuts ?
Il y a une évolution, mais elle est extrêmement lente. Je croyais que ça bougerait plus vite. En plus, avec ce relent d’islamophobie, beaucoup sont dans une espèce de fantasme, complètement faux, sur cette population française d’origine maghrébine. En 2016, j’ai joué dans le film Le ciel attendra, de Marie-Castille Mention-Schaar, qui parle de la radicalisation de deux jeunes filles prêtes à partir en Syrie. Ce film témoigne d’une réalité complexe, qui n’est pas celle que l’on croit. On sort de la caricature : la famille maghrébine est comme les autres, avec ses problèmes, ses blessures. Il n’y a pas un islamiste ou un délinquant. On nous montre toujours le pire côté, c’est fatigant ! Heureusement, beaucoup de réalisateurs et réalisatrices d’origine maghrébine mettent la main à la pâte. Eux, savent de quoi ils parlent. C’est de cette manière que les choses continueront d’évoluer.
Vous avez écrit un film que vous comptez réaliser et interpréter. De quoi parle-t-il ?
C’est une comédie sur l’identité, les origines… Tout est dit dans le titre : Moi, l’Auvergnat ! Je me suis inspiré de situations vécues, mais je les ai romancées. Ce n’est pas mon histoire, j’ai inventé une vraie fiction. Je veux parler de toutes ces personnes nées ici, qui parlent et pensent français depuis toujours, et qu’on continue à considérer comme des étrangers ! On ne demande qu’une chose : vivre pleinement notre citoyenneté, comme tout le monde. Il faut arrêter de croire qu’il y a une cinquième colonne qui veut saper la République ou je ne sais quoi ! Mes parents n’ont jamais fait de mal à personne. Ils m’ont toujours appris à respecter l’autre, quelles que soient sa religion, son origine.