« Née un 17 octobre » : « le défi des récits communs »
Quand le théâtre permet la transmission d'événements « oubliés ». « Née un 17 octobre » revient de façon originale sur la manifestation du 17 octobre 1961.
Le 17 octobre 1961 vécu à travers trois générations. C'est le pari de la pièce « Née un 17 octobre », mise en scène par Mounya Boudiaf et écrite par l'auteur Rachid Benzine, jouée lors du festival Off d'Avignon jusqu'au 28 juillet. Transmettre et apaiser, voici ce qu'a voulu mettre en avant la metteuse en scène avec cette pièce. Cette dernière nous en dévoile un peu plus sur la création et le but de « Née un 17 octobre ».
LCDL : Comment est née l'idée de cette pièce ?
Mounya Boudiaf : Ça fait des années que j'ai envie de rendre hommage aux luttes tues, oubliées, invisibilisées. Des personnes qui ont l'âge de mon papa, en fait, et de mon grand-père, qui ont fait ces manifestations pacifiques.
J'avais envie de rendre hommage à la marche des Algériens en octobre 61. J'ai travaillé avec des jeunes Amiénois autour de la pièce d' Aziz Chouaki, qui s'appelle « La pomme et le couteau ». Chouaki qui est un ami décédé il y a peu.
Je me disais que ce qui serait intéressant c'est de ne pas parler juste de la journée de manifestation du 17 octobre 61, je voulais tenir une réflexion par rapport à aujourd'hui.
Après les attentats, je voulais apporter ma pierre et apaiser les gens. Je trouvais que nous étions dans des débats hystériques, ce que je comprenais complètement (…) Je me suis dit qu'on avait raté quelque chose en octobre 61, et depuis ce temps-là, on a un sous-corps d'exception dans la société française. On a deux corps de la République française, on n'a pas de récit commun. Parce que la dernière fois que ces personnes ont manifesté, ça a dégénéré et il n'y a pas eu de reconnaissance de cet événement (…)
On a une rupture de la jeunesse aujourd'hui qui va être en crise d'identité, qui va se retourner à la fois contre la France et à la fois contre ses propres parents et grands-parents en leur disant : « Vous avez baissé la tête ! Vous êtes restés dans le pays qui vous a colonisés ! ». Une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans le récit commun de notre histoire de France.
Comment s'est faite la collaboration entre vous et Rachid Benzine sur cette pièce ?
J'ai travaillé avec Rachid Benzine sur « Lettre à Nour », que j'avais mise en scène et que j'ai fini par jouer à ses côtés. Tout ça depuis deux ans maintenant. C'était une véritable rencontre.
J'avais envie de traiter le 17 octobre 61 sous trois générations. C'est pour ça que j'ai demandé à Rachid d'écrire cette pièce avec un grand-père, un père et une fille (…) cette jeunesse a dû naviguer seule pour trouver des réponses. Ce qui a été mon cas également.
On pose des questions à nos parents et grands-parents sur la guerre d'Algérie, sur tous ces événements et en fait on n'a aucune réponse. Et quand on est à l'école, sur les bancs de la République française, on n'a pas de réponse non plus. Et vous vous retrouvez avec le silence des pères. Du coup notre jeunesse souffre (…)
Ça avait des liens avec notre précédente pièce Lettre à Nour, qui raconte le parcours d'une jeune jihadiste qui écrit à son père. Nous étions très intéressés tous les deux par cette jeunesse qui est en rupture. La porte d'entrée des trois générations nous a paru la plus juste. Quand vous avez des dates historiques comme ça, c'est bien de les raconter à travers l'intime pour ne pas faire de procès de mémoire violent à la France.
Cette pièce fait-elle le travail de transmission, longtemps négligé par l'Education nationale française ?
C'est une pièce sur la transmission de cette mémoire, c'est très clair. Le grand-père va rentrer dans un long récit où il va raconter cette marche des Algériens et il va clore en disant : « Ça suffit la haine acquise de la haine, elle ne produit pas de lit. La colonisation c'est une barbarie. Notre indépendance une victoire mais elle ne doit jamais nourrir le mépris pour qui que ce soit ».
Je trouve que c'est non seulement la transmission de la mémoire mais aussi un message qui est très très apaisant. Et je trouve que ce qui est également apaisant c'est que ce soit cette jeune fille qui a forcé les portes de la mémoire. Finalement on est dans un acte très positif avec la pièce. Elle ne se finit pas avec une jeune fille qui quitte la maison ou qui partirait faire le jihad.
Là on est face à une transmission de la mémoire qui va nous amener vers le pardon (…) On est en crise de symbolique en France, il faut écouter cette jeunesse qui souffre, sinon on ne va pas s'en sortir. J'ai fait beaucoup d'ateliers à Lille et Amiens, avant la sortie de la pièce sur le sujet d'octobre 61 et je me suis rendu compte que les jeunes avaient des modèles d'identification au théâtre.
Il faut donner la parole aux jeunes, pas la leur voler. C'est une transmission de la mémoire qui a été tue des deux cotés, que ce soit en Algérie ou en France. Ces luttes-là sont belles et on ne doit pas avoir honte de leur rendre hommage.
Comment avez-vous appris l'existence de cet événement (17 octobre 61) ?
J'ai posé pas mal de questions dans ma famille parce que j'étais fascinée par mes origines, ma quête d'identité. A l'école on me posait des questions, je voulais pouvoir y répondre. Le 17 octobre 1961, je l'ai découvert très tard, grâce aux livres et au théâtre, et pas du tout au sein de ma cellule familiale. J'ai fait du droit et même là, ce n'est pas quelque chose qu'on a pu évoquer. Tout ce que j'ai appris de l'Algérie c'est que la colonisation avait été bénéfique, en créant des écoles…
J'ai découvert ça aussi quand je suis retournée en Algérie parce que mes oncles en Algérie ont pu me raconter le jour où l'indépendance a été proclamée… Et aussi à travers cet auteur qu'était Aziz Chouaki.
Qu'aimeriez-vous que les spectateurs retiennent de cette pièce ?
L'apaisement. Dire qu'en ce moment on est dans une crise de symboles parce qu'on veut trop diviser deux corps différents de la société à travers la peau, la religion, des tas de choses. Ce qui m'intéresse c'est le défi des récits communs.