Lina El Arabi, un ange sur les planches
Pour sa première apparition au théâtre, la comédienne incarne Rehana, martyre de la résistance kurde, tuée lors du siège de Kobané, en Syrie, en 2015. Une jeune fille que rien ne prédestinait à prendre les armes. Poignant.
Dans ce one-woman show, il est question de ce qu’être une femme en zone de conflit signifie. On entend les salves de kalachnikovs et une version inédite de Single Ladies, de Beyoncé. On perçoit aussi la tendre complicité entre un père et sa fille. Et la voix de ceux pour qui le silence est complice. “Si tu ne te bats pas, tu facilites. Si tu facilites, tu collabores”, dit une des combattantes à Rehana pour la convaincre de rejoindre la résistance. Tous ces personnages, les parents comme les miliciens de Daech, sont magnifiquement campés par une magistrale Lina El Arabi, qui, tour à tour, change sa voix pour interpréter chacun d’entre eux.
Sa tenue ? “Un pied de nez aux fanatiques”
C’est la force du texte, signé du dramaturge anglais Henry Naylor, qui l’a décidée à accepter de jouer cette pièce. Dans la pénombre, pour une plus grande tension, elle déclame un poignant monologue, relevé de quelques traits d’humour. Afin de se préparer à ce rôle, la comédienne s’est énormément documentée sur les Kurdes. Elle s’est attardée devant les statues grecques des musées. Elle a passé une journée dans un stand de tir pour apprendre à manier la kalachnikov. Sur les planches, l’actrice apparaît, non pas en treillis, mais dans une longue robe noire au décolleté profond, une sorte d’anti-burka, “un pied de nez aux fanatiques”.
Le plus dur dans cette performance ? “C’est épuisant moralement d’être tous les soirs dans les tirs, la fumée, la violence, la saleté des mots, de répéter le mot ‘Daech’, alors que je l’exècre.” De chaque représentation, elle ressort vidée. “J’ai la chance d’être bien entourée et de trouver l’apaisement dans la musique classique”, poursuit-elle, avant de nous montrer sa peluche, un caribou, qu’elle emporte avec elle chaque soir dans sa loge. “Dans ses yeux, il n’y a pas l’horreur du monde”, sourit la comédienne.
La jeune femme de 21 ans, fraîchement diplômée d’une école de journalisme, voudrait qu’en quittant le théâtre Tristan Bernard, “les spectateurs tapent ‘yezidi’ (mot kurde qui signifie “ange” et qui désigne la minorité confessionnelle prise pour cible par les jihadistes, ndlr) sur Google”. Tous les soirs, elle se donne pour mission d’ouvrir les yeux au public. “Je veux que les gens s’informent et ne puissent plus faire l’autruche en sortant de la salle.”
Mon Ange a été créée à Bruxelles, puis présenté à Avignon, mais là où Lina El Arabi adorerait la jouer, c’est à Raqqa…