L’épopée sans frontières d’Abdelwaheb Sefsaf

 L’épopée sans frontières d’Abdelwaheb Sefsaf

crédit photo : Renaud Vezin


En mots et en musique, l’artiste conte dans “Si loin, si proche”, présenté au Festival d’Avignon, un retour au pays d’origine, l’Algérie. Et rend hommage avec tendresse et humour à toute une génération d’émigrés. 


Chanteur, comédien et metteur en scène, Abdelwaheb Sefsaf met tous ses talents au service d’un théâtre musical qu’il qualifie de “folklore du futur”. Avec sa compagnie Nomade in France, fondée en 2010, il revendique la liberté de mêler les langues, les disciplines, les styles et les registres. De parler de l’exil et de l’Algérie, mais aussi de politique française et de bien d’autres choses. Créé en mai au Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon, lieu qui l’accompagne depuis plusieurs années, Si loin, si proche ne déroge pas à ce beau métissage. Après Médina Mérika (2015), libre réécriture de Mon nom est Rouge du romancier turc Orhan Pamuk, et le spectacle Murs, consacré à la notion de frontières, ce conte musical revisite avec brio un motif classique de la littérature et du théâtre arabes et africains contemporains : le retour au pays.


 


S’aventurer dans l’autofiction


Habitué à porter une parole collective, Abdelwaheb Sefsaf ose pour la première fois l’autofiction. L’histoire du jeune héros de Si loin, si proche ressemble en effet étrangement à la sienne. Fils d’Algériens arrivés en France dans les années 1960, l’enfant dont l’artiste raconte l’aventure vit dans un entre-deux culturel, qui nourrit son regard sur le monde. Le pitch ? Pour le mariage du frère, toute la famille entreprend un voyage à Oran, à bord d’un véhicule si fatigué qu’il tombe en panne en cours de route, en pleine campagne espagnole, où il faut attendre une semaine la pièce permettant aux voyageurs de poursuivre leur périple.


 


Une pièce festive, au seuil de la caricature


Entre ses complices musiciens Georges Baux et Nestor Kéa, ­installés chacun d’un côté de la scène, Abdelwaheb Sefsaf ponctue son récit épique de chansons en français et en arabe. Sur des sonorités oscillant entre le rock, la musique arabe et l’électro, il dresse avec humour et lucidité le portrait de ses parents. Soit une amatrice de feuilletons égyptiens et un féru de politique française, dont l’obsession du “provisoire” donne lieu à de savoureuses anecdotes. Par l’intime, Si loin, si proche questionne ainsi le mal-être d’une partie de la société française : les Maghrébins arrivés en France dans les années 1950-1960, ainsi que leurs enfants.


Le récit ne s’attarde pourtant jamais sur le malheur. Si, assis sur une stèle funéraire, il introduit sa pièce par une oraison funèbre dédiée au monde arabe, l’artiste a vite fait de se mettre au diapason de la scénographie colorée et inventive de Souad Sefsaf. Souvent au seuil de la caricature, Si loin, si proche est une fête. Un hymne bien ciselé à la rencontre des cultures.


Plus radical que jamais dans sa pratique du grand écart musical et littéraire, Abdelwaheb Sefsaf se rapproche aussi de l’art du conteur. Avec une générosité qui invite au partage.