Syrie : Une grand-mère raconte le calvaire de sa famille

 Syrie : Une grand-mère raconte le calvaire de sa famille

Pascale Descamps est une grand-mère chagrinée et le mot est bien faible. Sa fille a suivi son mari en Syrie au printemps 2015. La mère et ses quatre enfants capturés par les autorités kurdes, se retrouvent dans un camp d’Al Hol. Malgré les alertes aux autorités françaises, rien n’a été fait pour « récupérer » cette famille française dans l’enfer du nord de la Syrie.

Sur le mur de mon collègue journaliste, Bernard Nicolas, les mots d’une violence inouïe sont apparus. Son tort : avoir évoqué le cas de Pascale Descamps, femme courage qui demande, en tant que mère et grand-mère, que l’Etat Français gère le cas de sa famille, emprisonnée dans un camp kurde dans le nord de la Syrie. Une requête d’une famille, rejointe par plusieurs centaines, alors que la France, contrairement à d’autres pays, n’agit pas ou ne fait rien pour ses personnes enfermées en Syrie.

Le Quai d’Orsay évoque le « cas par cas » comme si ces Français ne bénéficiaient pas de l’égalité républicaine d’assistance hors de l’Hexagone. Dans le lot de ces enfants de djihadistes, on a bien sûr des combattantes (assez peu au final) mais surtout des femmes abandonnées par leurs « maris », des veuves et des « remariées », persuadées avant leur départ de venir en aide aux populations de Syrie. Depuis 10 ans et l’éclatement de la guerre, on a aussi la naissance d’enfants français et surtout des jeunes qui arrivent bientôt à l’adolescence et qui ne connaissent de la France, que ce pays, leur patrie qui les a abandonnés sur le terrain de guerre.

Sur ce dossier épineux, on peut comprendre l’embarras des autorités de ne pas trop savoir comment gérer les affaires de personnes ayant un lien avec le terrorisme fussent-elles françaises mais toujours est-il qu’à travers le parcours de N., fille de Pascale Descamps, on peut ainsi appréhender le phénomène de dérive sectaire qui a conduit cette jeune femme et mère de 4 enfants à la situation actuelle.

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Une conversion après un amour de jeunesse

Née en 1988, N. est la fille unique d’une famille monoparentale, vivant dans le nord de la France. Entourée d’oncles, tantes, cousins et cousines, où l’entraide est de mise, la fille de fonctionnaire va en classe de neige et partage son temps au sein de cette grande famille. C’est à l’adolescence que le comportement change. « Nous ne sommes pas dans le religieux. Nous étions de culture chrétienne mais sans la pratique. Nous allions aux baptêmes pour perpétuer une tradition, pas comme un acte de foi. Un jour, j’ai exprimé devant ma fille enfant, que les gens de foi étaient plus heureux. Est ce que cela lui est resté ? Je ne sais pas ! »

A ces mots, le désarroi de Pascale Descamps est perceptible. A 16 ans, le jeune fille rencontre un jeune français issu d’une famille marocaine pratiquante lors d’un stage en centre de loisirs municipal. Pendant deux ans, les deux adolescents amoureux se fréquentent. Même si Pascale Descamps remarque que sa fille met des bandanas et des tenues moins féminines, elle ne s’en inquiète pas. Daech n’existe pas encore et on est bien loin du phénomène de radicalisation. Issue de la génération Coluche (« Touche pas à mon pote »), Pascale Descamps essaie de comprendre sa fille dans sa démarche de religiosité. Au bout de 2 ans, les adolescents finiront par se séparer car on a fait comprendre à N. qu’elle ne serait pas acceptée même si elle se convertissait.

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Isolement et amour sur le net

La jeune fille se retrouve seule. Elle passe beaucoup de temps sur Internet. A la recherche d’une voie spirituelle, la jeune fille discute sur des forums avec des femmes de 50 ans. En colère contre sa mère, N. met le voile en cachette. Elle se fait attraper un jour par sa mère qui la découvre ainsi devant la gare de son village. La jeune fille fugue et ne reviendra qu’au bout de 10 jours. « J’étais plus malheureuse qu’en colère. Elle était dans le mutisme. Des amis, hommes, femmes, musulmans ou non, sont venus lui parler. Elle voulait montrer, par des signes extérieurs, qu’elle était musulmane. »

Un dialogue de sourds commence. Ces personnes qui furent un jour très proches ne se parlent dorénavant que par des monologues de la mère et des acquiescements partiels de sa mère. « Ma fille était dans une prison mentale, comme sous emprise. Elle passait son temps sur le net et avait beaucoup de fascicules dans sa chambre.» Pascale essaie de comprendre. Elle accepte la religion de sa fille même si elle pleure quand elle est seule . Durant cette période dure, elle se fait aider par une psychologue, sans grand succès.

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Mariage « hlal » et emprise sectaire

Entretemps, la jeune fille fait la rencontre d’un autre jeune français d’origine marocaine. Lors d’un voyage au Maroc, les deux grands ados se marient cultuellement (mariage musulman « halal », ndlr). N. tombe enceinte. De retour en France, Pascale découvre très vite que les deux personnes ne s’entendent pas et « ont tout fait à l’envers ». Séparée au bout de 3 mois, N. vit avec son bébé auprès de sa mère. Elle a retiré son voile, sans pour autant renier la religion. Elle voit des copines, s’amuse et mène une vie d’une jeune fille d’une vingtaine d’années. Pascale Descamps est alors persuadée que le calvaire est fini. Cette période de deux ans, permet à la grand-mère de se faire de solides attaches avec sa petite-fille, sa « petite princesse ».

Toutefois, la désormais fille-mère célibataire est malheureuse et veut se mettre en couple. Elle rencontre par internet, un homme qui habite le sud de la France. Ce français d’origine espagnole travaille dans le bâtiment. Il est sympathique, convivial et jovial. De 10 ans l’ainé de sa fille, il fait bonne impression. « Ma fille n’avait plus le voile. Il venait chez nous en bermuda et t-shirt et n’avait pas de barbe. C’état un beau parleur, plein d’humour.»

Sa fille sous le bras, N. déménage à Toulouse en vue de s’installer avec son nouveau compagnon. Pascale Descamps leur rend visite deux mois plus tard. Elle découvre sa fille, apeurée. D’un simple foulard, sa fille est passée au niqab. Elle découvre alors que son gendre est converti et est bien différent de la première impression. « Droit dans les yeux, il m’a affirmé que c’est parce qu’elle avait tous les aspects « d’une bonne musulmane » qu’il avait épousé ma fille. C’était un pervers narcissique et sadique. Il exerçait sur ma fille une emprise totale. Elle lui racontait tout ce qu’elle faisait jusqu’au plus petit détail. » Pascale Descamps continue à voir sa fille tous les 3 mois. Enceinte, elle donne naissance à deux autres enfants.

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Rêves d’humanitaire en Syrie

Durant l’année 2015, sa fille, mère de 3 enfants, lui parle des malheurs de la Syrie, des actes commis par Bachar El Assad. Sa fille fait des collectes. Même si elle a des doutes, Pascale ne pense pas que ça ira plus loin qu’un acte de solidarité. Puis au printemps 2015, plus de nouvelles de sa fille et de son compagnon ainsi que ses petits-enfants. Toute la famille est partie pour la Syrie. « J’aurais du faire un signalement à la police mais j’étais perdue et ne savais pas quoi faire. Je ne me rendais pas compte que l’on n’était plus dans une simple volonté de démarche religieuse. En fait, ma fille avait été attirée dans un processus sectaire qui n’a rien à voir avec l’Islam. »

Les contacts se raréfient avec sa fille. Leur seul moyen de communication : quelques appels et SMS. Assez rapidement, Pascale Descamps apprend la mort du compagnon de sa fille. N. et ses petits-enfants sont alors otages aux mains de l’Etat Islamique. Ne pouvant pas intervenir, elle découvre que sa fille a été remariée et est enceinte de son quatrième enfant. « Le téléphone portable est le seul moyen de garder un lien avec ses enfants. La plupart des filles pensaient pouvoir aider. Elles n’ont découvert la situation qu’une fois arrivée là-bas. Les djihadistes les ont infantilisés. Elles ont vu que ce n’était pas le bonheur et que la soi-disant mission humanitaire n’en était pas une. »

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Silence et camp kurde au Nord de la Syrie

En septembre 2017, plus aucune nouvelle. Le contact est rompu. La bataille de Deraa fait rage et pendant un an, Pascale Descamps vit dans l’angoisse de la mauvaise nouvelle. En septembre 2018, elle reçoit des photos de sa fille et ses 4 petits-enfants. Ils sont vivants dans le camp d’Al Hol dans le nord de la Syrie. Le « mari » djihadiste de sa fille est décédé. « Les appels étaient rares. Elle m’envoyait surtout des SMS, des photos mais ne parlait quasiment pas. Elle « empruntait » un téléphone pour communiquer. »

La gestion du camp d’Al Hol est entre les mains de la résistance kurde et yézidie. Les cas de maltraitance sont courants. Abritée dans des tentes, froides l’hiver et bouillonnantes l’été, sa fille et ses enfants supportent tant bien que mal sa vie. Elle dépend essentiellement de l’aide apportée par sa mère. « Plusieurs journalistes étrangers ont parlé de la situation. Par contre, les kurdes refusaient que les journalistes français accèdent à leurs ressortissants. Ils faisaient état d’un « deal » avec pour que l’on n’en parle pas. Pour évoquer le sujet ou leur parler, il fallait se faire passer pour une autre nationalité. Encore aujourd’hui, ma fille a une peur bleue car tout peut être mal interprété et sa vie dépend du bon vouloir de ses gardes.»

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Une gestion au cas par cas, dure à entendre par les familles

La fonctionnaire, active au sein de collectif de parents d’enfants en Syrie, tente d’alerter les autorités. Elle est reçue par le cabinet du ministre des affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian. On lui indique être désolé et que l’on traite ses affaires de français en Syrie au cas par cas. Elle remue ciel et terre d’autant que les femmes étrangères sont au cœur de trafic de passeurs pour passer la frontière vers la Turquie. Vulnérables, elles peuvent même se retrouver dans des situations bien pires. Celles qui sont revenues de ces camps de l’horreur racontent des conditions extrêmes (froid, faim, risque de traite). Au Quai d’Orsay, sous couvert d’anonymat, on lui conseille, sans rire, que sa fille aille vers l’Irak pour se faire juger, la France pouvant ensuite prendre le relais. Bien sûr, N. n’a aucune possibilité de s’y rendre !

Pour l’heure, la France n’a pas encore pris ses responsabilités pour ses femmes et enfants de djihadistes. Or il y a urgence. Les conditions sanitaires et de sécurité ne sont pas assurées pour la famille. La grand-mère ne minimise pas les actes de sa fille. Elle sait et est totalement d’accord avec le fait que si sa fille vient en France, elle devra être placée en détention préventive pour association de malfaiteurs et apologie du terrorisme. Elle espère surtout pouvoir s’occuper de ses 4 petits-enfants de 2 à 10 ans et leur éviter un destin tragique dans un pays en guerre.