Statistiques des visas français accordés aux Tunisiens : qui croire ?

 Statistiques des visas français accordés aux Tunisiens : qui croire ?

Multiplication de témoignages de refus inédits de visas, conventions professionnelles annulées… Au moment où les autorités françaises assurent avoir levé ce qui restait de restrictions sur les visas réservés aux ressortissants tunisiens, la réalité du vécu de ces derniers semble contredire cette bienveillance affichée des discours officiels.

« TLS [le contractant privé mandaté pour traiter les demandes de visa] a annulé sa convention avec le Conseil national de l’Ordre des médecins tunisiens (CNOM), et tout le monde s’en plaint… Franchement, je ne comprends pas cet acharnement de la part des médecins pour aller coûte que coûte passer les vacances en France… Le monde est immense et magnifique ! », s’exclame une docteure tunisienne en médecine, qui préfère faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Elle n’est pas la seule à témoigner de cette récente vague de rejets de demandes. L’auteur et chef d’entreprise franco-tunisien Karim Guellaty comptabilise ainsi « depuis hier soir, 371 témoignages reçus (avocats, médecins, businessmen, étudiants, etc.) de refus de visas totalement injustifiés et avec toujours ce même motif insultant « nous avons des doutes sur votre volonté de quitter l’espace Schengen avant l’expiration de votre visa ». Plus clairement, on pense que souhaitez migrer clandestinement… La France est libre et souveraine, et a le droit d’accepter qui elle veut sur son territoire, de faire des quotas, ou autres mesures restrictives. En revanche il y a un droit qu’elle n’a pas, c’est celui d’être insultante, vexatoire et diffamatoire à l’adresse de ceux qu’elle refuse. Que ce refus soit lié à un manque de personnel pour traiter les dossiers, qu’il soit le fruit d’un bras de fer politique, quel qu’il soit, il n’autorise pas à humilier son prochain en lui faisant le procès d’intention de vouloir enfreindre la loi, et lui prêter la volonté de vouloir s’installer clandestinement », proteste l’éditorialiste.

 

L’ambassadeur de France en Tunisie relativise

« Les ressortissants d’une soixantaine de pays devaient obtenir un visa pour accéder sur le territoire tunisien », croit bon de rappeler l’ambassadeur de France en Tunisie, André Parant, successeur d’Olivier Poivre d’Arvor depuis 2020 à ce poste. Il intervenait sur une radio nationale le 5 octobre précisément pour répondre entre autres aux récentes polémiques autour de l’octroi des visas.

Le diplomate explique que la Tunisie reste aujourd’hui le quatrième pays au monde à obtenir le plus grand nombre de visas de la part de la France : pas moins de 70% des visas Schengen seraient en effet délivrés par le consulat général de France à Tunis.

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« Même s’il y a évidemment des refus, 75% des demandes de visas présentées à nos services consulaires donnent lieu à la délivrance d’un visa, tempère-t-il. Je pense que ces chiffres méritent d’être médités. Ils donnent une image très éloignée de celle d’une France fermée, repliée sur elle-même, et qui ferait obstacle à la mobilité entre la Tunisie et la France », conclut Parant.

Les statistiques du mois de janvier à fin août 2022 révèlent que 60 mille visas français ont été délivrés aux Tunisiens. C’est peu, si l’on considère qu’en 2019, le consulat général de France à Tunis avait délivré pas moins de 145 mille visas. Mais cela reste dans une fourchette haute, si l’on prend en compte le fait que le retour à la normale ne date que du 1er septembre dernier (après que fin 2021, Paris ait réduit de 30% à 50% le nombre de visas pour les trois pays du Maghreb), et surtout depuis que ce chiffre ait déminué de façon drastique, à 40 mille et 50 mille visas, suite à l’épidémie mondiale de Covid-19.

 

2023, année charnière

André Parant a par ailleurs estimé que, « d’ici la fin de l’année le chiffre total atteindra 80 mille visas ». Cependant la même source ne prédit le retour à des chiffres proches de l’année de référence 2019 que d’ici 2023… L’effondrement des demandes de visa en 2020 et en 2021 ayant conduit à la réduction des effectifs au sein des services consulaires, cela a résulté en un manque de ressources humaines et des retards dans le traitement des dossiers et la prise de rendez-vous. Quelques mois supplémentaires seront donc nécessaires avant que les choses ne rentrent dans l’ordre.

L’ambassadeur explique enfin l’essentiel des refus par « les risques migratoires ou sécuritaires ». Ainsi plusieurs dossiers déposés demeurent incomplets ou comportent « des documents non-conformes ». Le diplomate concède ceci dit que quelques erreurs humaines aient été probablement commises à titre individuel.

Dans d’autres cas, les visas Schengen sont refusés en raison de l’objection d’un des partenaires de la France, détaille Parant. Quant aux frais de traitement des dossiers, il rappelle qu’ils ne sont pas plus élevés que ceux exigés par d’autres pays dans le monde, et qu’aucun pays ne les rembourse en règle générale. « Le visa court séjour pour la France coûte 80 euros, pour le Royaume-Uni cela revient à 120 euros et entre 165 et 205 dollars pour les États-Unis… ».

 

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