Masomah Ali Zada, en roue libre

 Masomah Ali Zada, en roue libre

crédit photo : Thierry Communal / Jean-Sébastien Avrard/AFP


Celle que l’on surnomme “la petite reine de Kaboul” vit en France depuis avril 2017 et poursuit ses études à Lille. Contrainte de quitter son pays à cause de sa passion pour le vélo, elle rêve, à 21 ans, de participer aux prochains Jeux olympiques


Tomates pourries, pierres et insultes pleuvaient sur Masomah dans les rues de son propre pays. Son tort ? Elle pratique le ­cyclisme dans une société afghane où les hommes, rapporte-t-elle, pensent que “le vélo, ce n’est pas fait pour les femmes”, que ces dernières peuvent tout juste “faire le ménage ou étudier”. Heureusement pour elle et ses sœurs, son père n’était pas de cet avis. C’est lui qui a appris à ses filles à monter à bicyclette quand elles avaient 7 ou 8 ans. A l’époque, la famille Ali Zada vit en Iran, où le père, opposant politique hazara*, a été contraint de s’exiler lorsque les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan. A leur retour dans leur pays d’origine, Masomah a 19 ans et l’audace de vouloir vivre au grand jour sa passion. Contrairement à son amie Frozan Rasooli, elle ne ment pas à ses proches quand elle s’absente pour ses entraînements. Elle souhaite même rendre ce sport accessible aux femmes en devenant professeur d’édu­cation physique dans un collège. Parallèlement, la jeune fille ­rejoint le club créé par Abdul Sadiq Sadiqi, qui, malgré les menaces, entraîne l’équipe nationale féminine de cyclisme.


 


Agressions physiques et verbales


Dans un documentaire de Katia Clarens diffusé sur Arte en ­février 2016, on voit les coureuses pédaler de nuit à la lueur des phares, s’extirper des embouteillages et de l’hostilité kaboulienne. Bien que couvertes de la tête aux pieds, elles sont la cible d’agressions physiques et ­verbales. C’est ce reportage qui poussera ­Patrick Communal, un ancien avocat au barreau d’Orléans, ­passionné de cyclisme, à ­les contacter. “J’ai fait la connaissance de deux jeunes femmes de 18 et 19 ans (Masomah et sa sœur Zahra, ndlr), qui avaient fait le choix d’affronter les tabous d’une société patriarcale et misogyne et de pratiquer envers et contre tout le cyclisme de compétition”, écrit-il dans La Petite Reine de Kaboul (ci-dessus).


 


Pour échapper au carcan, une seule solution : l’exil


L’auteur retrace cette rencontre d’abord virtuelle, puis réelle, lorsque Masomah et sa sœur, qui avaient déjà pris part aux Jeux asiatiques en 2013, sont invitées en juin 2016 à participer à l’Albigeoise, dans le Tarn. Cette cyclosportive sera la première d’une longue série de courses en Europe. Elles finissent deuxième et troisième de leur catégorie et sont, de ce fait, qualifiées pour le championnat du monde en Australie. Leur performance est saluée par les instances sportives de leur pays, mais leur médiatisation ne fait que renforcer l’opposition de certains membres de leur ­famille. “Par chance, notre père ne souciait pas du regard des autres, mais du seul bonheur de ses filles, malgré la pression de nos oncles, qui ne pensaient qu’à nous marier”, souligne l’aînée, plusieurs fois sacrée meilleure cycliste d’Afghanistan.


Dès lors, pour échapper au carcan, une seule solution : l’exil. ­Celui-ci est rendu possible grâce au soutien de Patrick Communal, qui mènera un combat administratif pour permettre aux deux cyclistes, mais aussi à leurs trois frères et à leurs parents, d’obtenir l’asile en France. Son livre restitue toutes les démarches et témoigne de la solidarité dont nombre de Français sont encore capables aujourd’hui.


La famille afghane trouve d’abord refuge dans le village breton de Guéhenno en avril 2017, où, au même moment, ­Marine Le Pen arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle, avec 30 % des voix. Pourtant, Madame Ali Zada et ses filles, probablement les premières à porter le voile dans la commune, ne furent pas confrontées à l’hostilité la population. “Leur présence aux manifestations sportives locales attire les photographes et les habitants les reconnaissent et leur sourient”, note Patrick Communal.


Depuis, les deux sœurs ont eu la possibilité de reprendre des études à Lille, où elles bénéficient d’un programme spécial à destination des demandeurs d’asile (leur famille, elle, a trouvé un ­logement à Orléans). Licenciées au club de vélo de Saint-Amand-les-Eaux (Nord), elles enchaînent trois entraînements par semaine et même cinq à l’approche d’une compétition, contre un seul à l’époque où elles vivaient à Kaboul et où chaque sortie impliquait une énorme prise de risque.


 


Se battre pour les autres


“En Afghanistan, faire du vélo est considéré comme un des plus grands péchés et déshonneurs qui puissent arriver aux filles. Elles n’osent donc pas en pratiquer et leurs familles ne le permettent pas, ­explique la jeune femme de 21 ans, qui s’estime chanceuse de pouvoir pédaler quand bon lui semble. Son coach, ainsi que celui de sa sœur Zahra et leur amie Frozan, également pionnière du cyclisme féminin afghan, n’est autre que Thierry Communal, le fils de l’avocat, qui a rendu ce périple possible.


“Je suis restée en contact avec mes camarades de l’équipe afghane et toutes se plaignent de ne pas pouvoir s’entraîner régulièrement. Depuis mon départ, la sécurité s’est beaucoup dégradée”, déplore Masomah, qui se souvient d’un incident survenu lors d’un entraî­nement alors qu’elle avait 16 ans, du côté de Saroubi, à l’est de Kaboul. “J’étais sur une file, avec deux autres filles, en troisième position, quand un garçon m’a violemment frappé par-derrière et s’est moqué de moi. J’étais tellement choquée que je n’ai rien pu dire et il n’y avait personne pour prendre ma défense. Maintenant, dans cette région, les gens ordinaires ne circulent plus, parce que les ­talibans et les partisans de Daesh y sont actifs.”


Loin de la dissuader, cet épisode accroît sa détermination. “Je me suis dit que j’allais tellement me battre qu’aucune fille ne connaîtrait plus ce genre d’épreuves en Afghanistan.” Aujourd’hui, Massomah, sa sœur et Frozan, faute de participer au Tour de France, non ouvert aux femmes pour leur plus grande déception, rêvent de se qualifier pour les prochains Jeux olympiques. Un sacré pied de nez à ceux qui voudraient les empêcher de pédaler en paix. 


 


LA PETITE REINE DE KABOUL de Patrick Communal, éd. de l’Atelier, 208 p., 16 €.


 


“En Afghanistan, faire du vélo est considéré comme un des plus grands péchés et déshonneurs 

qui puissent arriver aux filles”


* Cette ethnie originaire de Mongolie, qui pratique l’Islam chiite, représente un cinquième de la population afghane, mais fait l’objet de discriminations.