Hassiba Boulmerka : « Cette victoire est celle de l’émancipation »
Cette ex-athlète, spécialiste des courses de demi-fond, donna à l’Algérie sa toute première médaille d’or olympique en 1992. Une héroïne pour le pays et son continent, rayonnant encore aujourd’hui jusqu’à Londres.
Comment avez-vous démarré votre carrière d’athlète ?
J’y suis arrivée par le sport scolaire. Et c’est mon entraîneur qui m’a fait réellement aimer l’athlétisme. J’y ai trouvé mon monde. En faisant toutes ces compétitions, j’avais une licence du club avec ma photo. Je m’y suis identifiée et, surtout, j’ai apprécié de progresser rapidement. Je suis entrée en équipe nationale très jeune et, à partir de 1989, je suis partie m’entraîner en Allemagne de l’Est. Je m’y sentais en sécurité. On y travaillait très bien, avec des infrastructures qui répondaient aux normes. En 1991, j’ai gagné ma première médaille d’or au niveau mondial*, à Tokyo. Quand nous sommes retournés en Algérie, c’était presque une fête nationale.
Avec ces excellents résultats, c’est à ce moment-là que votre vie a commencé à se compliquer…
En Algérie, c’était la période du terrorisme. Il y avait beaucoup de violence, de bombes, de massacres. Mon image ne fonctionnait pas avec cette idéologie. En 1992, je me suis préparée pour les Jeux olympiques de Barcelone et, cette année-là, je n’ai fait aucune autre compétition. Quand je suis arrivée en Espagne, j’avais un dispositif de sécurité très important autour de moi. Tout le monde avait peur pour ma vie, car j’avais reçu des menaces très sérieuses. Je savais que c’était dangereux, mais, en tant que femme et en qualité d’athlète, j’ai choisi de continuer mon chemin et de gagner ma médaille olympique, coûte que coûte. Dans notre pays, malheureusement, on rencontre nombre d’interdictions faites aux femmes, à travers la loi, la religion, la tradition, et il ne nous reste pas beaucoup de marge pour réussir quelque chose. Cette victoire, c’était également celle de l’émancipation. Une victoire contre ceux qui ne croient pas en la femme, qui essaient de dévaloriser son rôle dans la société. Pour moi, ce n’était plus seulement du sport. C’est devenu un combat. Je me suis retrouvée à répondre à des questions qui me dépassaient totalement. Je suis devenue un symbole malgré moi.
Au moment de votre reconversion, qu’aviez-vous envie de faire ?
C’est la chose la plus difficile pour tous les sportifs du monde. On vit sous les lumières et notre vie se résume à trois endroits : le stade, l’hôtel et l’aéroport. On n’a le temps ni d’aimer ni de se laisser aimer. Pas le temps non plus pour les événements familiaux ou la spiritualité… J’ai terminé ma carrière dans une grande douleur, car ma mère est alors décédée. Je ne savais pas trop ce que je pouvais faire, puis, je me suis dit que le cerveau qui avait gagné quelques médailles pouvait gagner son pain. J’ai donc créé mon entreprise, HB International, une société de services de distribution de médicaments.
Vous avez reçu il y a quelques mois, à Londres, un Award de la femme arabe, décerné par l’Institut arabe des affaires britanniques, pour récompenser votre parcours sportif.
Je suis très heureuse après tant d’années de recevoir encore des distinctions. Le sport nous forge, nous donne du caractère. Il enseigne la discipline. On apprend à aimer son pays, à donner de la joie aux gens. Si j’ai réussi ma seconde vie professionnelle, c’est aussi grâce au sport.
* Elle fut double championne du monde de 1 500 m, à Tokyo en 1991, puis à Göteborg en 1995.
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017