Soufiane Guerrab, un acteur qui crée de l’humain
D’Audiard à Brizé en passant par le duo Mehdi Idir-Grand Corps Malade, l’acteur franco-marocain est devenu en plus d’une décennie un visage familier du paysage cinématographique français. Depuis octobre, il cartonne sur la plateforme Netflix avec la série Lupin aux côtés d’Omar Sy.
Selon Wikipédia qui contient de nombreuses informations non vérifiées, Soufiane Guerrab serait un parisien d’origine algérienne. Pourtant, il est né à Forbach d’une mère italo-allemande et d’un père de l’oasis de Figuig au Maroc. Une anecdote qui le fait plutôt marrer. « Nos histoires sont communes avec nos frères algériens, explique le comédien. Les frontières sont faites pour le sol, pas pour l’esprit. Je suis très attaché au Maroc. Quand j’étais gamin à Figuig, mon oncle m’a donné une jument de course qu’il avait acheté, pensant que c’était un cheval de traie. Tous les matins, ma famille partait en voiture. Pour ma part, je galopais dans le désert. J’y ai découvert la liberté et surtout qu’il y a la route et des chemins de traverse pour arriver à destination. »
Issu d’une famille modeste (père électricien, mère femme de ménage), il rejoint Paris dans sa jeunesse avant de s’établir à Rosny-sous-Bois. Dés son plus jeune âge, il a la volonté constante d’inventer. « A 15 ans, un ami me montre un logiciel pour faire de la musique. Ca a été une révolution car avec peu de choses et en partant de rien, on peut faire de belles choses. Feu mon père m’a aussi aidé à concevoir mes voitures télécommandées avec des boites de chaussures. Je garde en mémoire les principes de droiture, de modestie mais aussi d’ambition à aller plus loin. Créer est au centre de ma vie et de mon métier.»
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La pluie et le cinéma
Le cinéma, il le découvre par hasard à l’âge de 17 ans. Comme un signe du ciel, en pleine interview, débute un déluge d’automne qui nous oblige à nous déplacer. Il fait tout de suite le parallèle avec son entrée au cinéma. « C’est incroyable ! s’exclame Soufiane Guerrab. J’ai découvert le cinéma par une averse. Je me suis refugié dans une tente noire à Paris. Un régisseur m’a demandé de partir puis la pluie redoublant d’intensité, il m’a fait revenir. C’était la première fois que j’étais sur un plateau de tournage. J’y ai rencontré mon agent avec qui j’ai réussi mon premier casting. »
Doté d’une bonne étoile, il enchaîne les petits rôles (Mes copines, PJ, Boulevard du Palais, Avocats et associés,..). Malgré un succès d’estime avec son rôle de Kenz dans les beaux mecs, un sentiment d’imposture mettra du temps à le persuader de son métier. « Dorénavant, je suis plus sûr de moi quand j’aborde un rôle. Pendant longtemps, j’ai eu énormément de mal à dire que j’étais acteur. Je prends mes films au feeling. Je connais mon texte et tente de faire la meilleure prestation. Si je suis choisi, c’est que le réalisateur et les producteurs savent ce qu’ils font. Sur un film, il y a un esprit d’équipe comme au football. Chacun est à son poste et donne son maximum quand le mot action résonne. Je suis convaincu que le collectif peut être bénéfique. »
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La famille du 9-3
A partir de 2009, les propositions pleuvent dés lors pour celui que les réalisateurs s’arrachent pour les seconds rôles. Il croise ainsi la route de Nakache et Toledano (Tellement Proches), Pierre Jolivet (Jamais de la Vie), Jacques Audiard (Dheepan), Kheiron (Nous trois ou rien) ou Yann Gozlan (Burn Out). La consécration vient avec ceux qu’il considère comme sa famille de cinéma, Mehdi Idir et Grand Corps Malade. A travers deux rôles (Patients en 2017 et La vie scolaire en 2019), Soufiane Guerrab montre l’étendue de son talent et de son charisme naturel dans des personnages « normaux », hors du classique voyou réservé aux maghrébins. « Avec Mehdi et Fabien, ca a matché tout de suite entre nous, se souvient le comédien. On a dépassé le cadre professionnel. On se parle de tout et presque jamais de cinéma ou de musique. Ce que j’aime dans leurs films, c’est la véracité de leurs propos. Farid dans Patients a existé. Pareil pour le professeur dans La vie scolaire. Le cinéma ne doit pas nous renvoyer à des origines. Ce qui compte, ce ne sont pas les œuvres mais les humains qui sont derrière. »
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Une histoire de regards
C’est d’ailleurs ce coté humain qui va le pousser à accepter un premier rôle dans le long métrage de Yassine Qnia, « De bas étage », sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. Fonctionnant à l’instinct, il choisit son rôle pour l’énergie du réalisateur, capable de prendre 3 mois de congés pour faire son film avant de retourner au travail.
Adepte du « Tout est possible », il en a même fait le credo du festival « Tapis bleu » qu’il a créé à Rosny-sous-Bois où il habite encore. « J’ai tous mes repères dans cette ville qui connaît une belle croissance. Ses habitants me connaissent depuis que je suis petit. Nos enfants grandissent ensemble dorénavant et je veux qu’ils puissent avoir la chance de ne pas se mettre de limites. Avec ce festival, on est loin du tapis rouge, du strass et des paillettes. On inverse les rôles entre professionnel et public. Que des jeunes entendent Olivier Nakache, Stéphane Foenkinos, Leila Bekhti, etc.. leur dire qu’ils n’ont pas le droit de désespérer, ca permet de raviver la flamme et l’espoir. Le plus important c’est de changer le regard de l’autre pour arrêter d’avoir une prison dans la tête. »
Un acteur tout en nuances
A l’affiche de la 3ème saison de Lupin sur Netflix, sortie au mois d’octobre, il y tient le rôle du détective déterminé et intuitif, Youssef Guedira, aux cotés d’Omar Sy. Un rôle de policier qu’il avait déjà abordé aux côtés de Karole Rocher dans la série Braquo. « Il est vrai que j’ai joué assez peu de gangsters, affirme Soufiane Guerrab. J’aime bien les rôles de policiers car ce sont des personnages qui font avancer le film. C’est important aussi de nuancer. Nous avons besoin d’interactions, d’échanges et de dialogues pour faire tomber les préjugés entre les banlieues et la police. Se tolérer et se comprendre permet déjà de revenir à des valeurs universelles. J’aime inspecter le rapport intérieur du personnage à son entourage, à ses traumas. Cela dépasse son simple métier. A nouveau, on est dans l’humain d’abord ! »
Souhaitant être en paix et heureux, Soufiane Guerrab développe son long métrage et une série en cours de production avec la volonté perpétuelle de s’intéresser aux autres. S’il regrette ne pas avoir de rôle dans le cinéma marocain, il trouve que le Maroc, et au delà l’Afrique, regorge de talents en devenir. « Aujourd’hui, on peut faire un film avec un Iphone. L’avenir appartient à la jeunesse et c’est le cas au Maroc ou en Afrique. Le continent peut et va nous surprendre. Avec l’énergie qu’ils ont et un peu de moyens, je suis convaincu que rien n’est impossible. »