Un guide de communication non violente pour les militants

 Un guide de communication non violente pour les militants

Mounia Fellachi


Mounia Fellachi est blogueuse. Elle vient de publier sur son site un guide de communication non violente à destination des militants. Il est disponible gratuitement ici.


LCDL : Pourquoi avoir décidé d’écrire un tel manifeste ? 


Mounia Fellachi : Je voulais surtout réaliser un « guide pratique » basé sur une synthèse de mes recherches, de mes lectures et de mon retour d’expérience. J’ai souvent constaté que des projets intéressants étaient avortés à cause de conflits entre militants, qui auraient pu être facilement évités. 


Au lieu de nous renforcer collectivement, l’activisme a plutôt tendance à nous précariser individuellement, voire à nous isoler de manière parfois dangereuse.


Je me suis particulièrement intéressée à l’outil de la communication non violente (CNV) utilisé dans le cadre de thérapies, et qui peut facilement être mis en place.


On oublie souvent que l’une des conséquences des inégalités sociales, c’est la détérioration de la santé mentale. Or, sans un mental d’acier, c’est compliqué de combattre la violence institutionnelle et structurelle.  


A qui s’adresse votre manifeste ? 


Ce travail (comme la majorité du contenu que je publie en ligne) s’adresse d’abord aux militants, à toutes les personnes engagées (ou qui souhaitent le devenir) en politique ou dans l’associatif, quelles que soient leur idéologie ou leurs modalités de lutte.


L’idée n’est pas de forcer la réconciliation entre militants pour une unité de façade, c’est utopique et contre-productif, mais plutôt de mettre à disposition des outils accessibles à tout le monde pour que la diversité militante soit respectée et fructueuse. 


Vous faites l’éloge de la communication non violente (CNV). La mise en pratique de la CNV ne risque-t-elle pas d’atténuer, voire d’annuler toute colère légitime ?


Pour moi, la  CNV n’est qu’un outil, et en cela, il est neutre ; c’est-à-dire qu’il ne faut ni l’idéaliser, ni le jeter à la poubelle. Et vous avez raison, sans colère légitime, il n’y a pas de luttes sociales. La non-violence est souvent utilisée comme prétexte par le système dominant pour condamner la violence révolutionnaire.


Ceci étant dit, pour moi, cet outil n’est pas à laisser aux mains des puissants. J’ai l’intime conviction que le meilleur moyen de se défendre est de se réapproprier la CNV au profit de nos luttes.


Et dans ce contexte, la CNV doit se nourrir de notre colère légitime pour la rendre plus puissante et plus efficace. Face aux injustices, la colère s’éparpille, et finit malheureusement par être dirigée au mauvais endroit, quitte à faire des dégâts parmi nos propres rangs. 


Vous déplorez également les agissements de certains militants…


Oui. J’ai le triste sentiment que certains militants passent leurs temps à scruter les autres militants, à distribuer les bons et les mauvais points. Savoir si on est assez radical ou non, si on est assez présent sur le terrain ou non ! Allant parfois jusqu’aux procès d’intention, à user de la calomnie.


Il arrive même parfois que des militants se mêlent de la vie privée des autres de manière indécente. C’est beaucoup d’énergie gaspillée pour rien alors qu’il y a des choses très graves qui se passent dans notre pays.


Certains militants oublient parfois que les personnes qui s’engagent et qu’ils harcèlent sur les réseaux sociaux peuvent avoir d’autres problèmes à gérer dans leur vie personnelle.


Tous ces désagréments, on peut les éviter, car l’outil de la CNV est à notre portée. Sans en attendre de miracle, on peut en faire usage pour apprendre à vraiment écouter, prendre du recul, ne pas s’énerver à la moindre remarque désobligeante.  


Dans certains cas, on peut gagner en pouvoir grâce à la CNV. Je ne suis d’ailleurs pas la première à soulever cette question : les questions de santé mentale et « d’empowerment » sont intimement liées, et émergent souvent dans des ateliers militants; comme ceux proposées par des organisations féministes antiracistes comme Lallab ou Nta Rajel. 


Vous dressez un portrait assez sombre du militantisme. Y a-t-il des raisons d’espérer ? 


Oui, et heureusement ! Le militantisme n’est pas pur et ne le sera jamais. Sans tomber dans le fatalisme, il faut apprendre à l’accepter. Ce n’est que comme ça qu’on peut le rendre efficace.


Me renseigner sur la CNV m’a appris à relativiser, et surtout à ne pas diaboliser les autres militants : il n’y a pas de bons ou mauvais militants, il n’y a que des comportements toxiques, dont personne n’est exempt, mais dont tout le monde peut se débarrasser, moi la première !


Et d’ailleurs, si j’ai eu l’idée de travailler sur cette problématique, c’est parce que je suis moi-même entourée de militants tous plus inspirants les uns que les autres. Faire l’inventaire de tout ce qui ne va pas ne m’empêche pas d’apprécier ce qui existe déjà ; je pense même que c’est en aimant sincèrement le militantisme qu’on peut l’améliorer !


On ne peut pas espérer des autres qu’ils changent si nous-mêmes, on ne cherche pas à s’améliorer. Par contre, on peut s’attendre à de belles surprises si on commence à travailler sur soi.