Sale temps pour les binationaux
Il parait loin le temps où le fait d’avoir plusieurs nationalités et autant de passeports était considéré comme une richesse, mieux : un privilège, dont il fallait remercier la providence. France, Algérie, Tunisie : les attaques et les restrictions touchant les plurinationaux se multiplient, poussant ces personnes dans la catégorie des sous-citoyens.
Les binationaux : des terroristes…
Un binational affirme souvent qu’il a rarement choisi de l’être et qu’il n’est pas deux moitiés de nationalité, mais entièrement l’une et l’autre de ses nationalités. Jusqu’à présent, le droit lui donnait raison, le pluritional jouissant de tous les droits attachés à ses nationalités. Mais, cette catégorie suscite de plus en plus de méfiance de part et d’autre de la Méditerranée.
Méfiance, qui peut aller jusqu’à la stigmatisation. Avec le projet de réforme de la Constitution en France, la binationalité s’est imposée comme thème majeur d’un débat politique relativement stérile : faut-il pouvoir déchoir de sa nationalité française un binational, même né Français ? En s’acharnant à inscrire cette possibilité dans la loi fondamentale, François Hollande et Manuel Valls s’apprêtent non seulement à sacrifier le principe d’égalité entre Français de naissance, mais aussi à désigner la binationalité comme l’une des causes du terrorisme en France au grand dam des principaux intéressés et de nombreux élus de la nation.
Tout en soulignant l’inefficacité de la mesure et ses dégâts irréversibles sur l’unité nationale, ces derniers voient dans la dérive de l’exécutif une victoire des terroristes. L’État islamique n’a-t-il pas déjà profité du débat qui s’enlise pour en faire un argument de recrutement ?
… ou des traitres à la nation ?
Stigmatisés en France, les binationaux ne trouveront pas de réconfort au sud de la Méditerranée. Là aussi, ces personnes dotées de plusieurs passeports suscitent des fantasmes empreints de paranoïa. L’universitaire tunisienne Olfa Youssef a ainsi salué la nouvelle constitution algérienne – la troisième de l’ère Bouteflika – qui exclut les binationaux des principales responsabilités politiques et hautes fonctions administratives.
Celle qui ne cache pas son soutien au parti Nida Tounes et une certaine nostalgie de l’ère du dictateur Ben Ali, aimerait voir cet ostracisme étendu à la Tunisie, où les binationaux sont déjà interdits de briguer la présidence de la République. Mme Youssef estime d’ailleurs que ce n’est pas un hasard si de nombreux binationaux occupent des postes de responsabilité depuis la chute de l’ancien régime, laissant entendre que la Révolution pourrait être un complot dont ils sont les maitres d’œuvre. « Que fera un binational exerçant la politique en cas de conflit d'intérêts ? » a-t-elle ajouté, insinuant que les plurinationaux seraient de plus incapables d’être fidèles aux responsabilités qui leur sont confiées.
Rached Cherif