Nouvel an berbère célébré en Algérie – Entretien avec Yalla Seddiki

 Nouvel an berbère célébré en Algérie – Entretien avec Yalla Seddiki

Yalla Seddiki


Yalla Seddiki est docteur en Lettres Modernes, Paris IV-Sorbonne. Il est le préfacier et le traducteur du livre bilingue de Lounès Matoub, Mon nom est combat, Paris, La Découverte, 2003. Dans quelques jours, paraîtra son nouveau livre "Rimbaud is Rimbaud is Rimbaud (Rien de Nouveau chez Rimbaud)", aux éditions Non Lieu. Spécialiste de la question kabyle, il a accepté, à l’occasion du nouvel an berbère, de répondre à nos questions.


LCDL : Cette année, pour la première fois en Algérie, ce vendredi 12 janvier, jour du nouvel an berbère sera un jour férié. Que cela vous inspire-t-il ? 



Yalla Seddiki : Que ce soit en Algérie, au Maroc et à présent en Libye, celles et ceux qui ont risqué leur vie, leur carrière, qui ont offert leur temps pour la reconnaissance de la culture amazighe ou même la naissance d’un État amazighe se méfient toujours des concessions de leurs gouvernements. La consécration prétendue de Tamazight (NDLR : langue berbère) est accompagnée de la sacralisation renforcée institutionnellement de la langue arabe. Ce qui réduit Tamazight au statut d’une langue autorisée mais sans valeur sur le plan du développement dans les domaines scientifiques, littéraires, scolaires et institutionnels. Encore que quelques publications symboliques récentes doivent me conduire à nuancer ce propos.


Pourquoi, selon vous, Abdelaziz Bouteflika a décidé de répondre favorablement à une des revendications des militants kabyles ?


Un parti trotskyste algérien, le Parti des travailleurs, a proposé un amendement à l'assemblée pour qu'un enseignement généralisé et obligatoire de tamazight soit doté d’un budget. La Commission des finances de l’Assemblée nationale populaire a rejeté cet amendement. Malgré les dénégations d’officiels, cette décision est apparue comme l’expression d’un rejet de tamazight. L’institution qui devait défendre les intérêts du peuple s’est affirmée comme un simple prolongement d’un État raciste.


Cet événement a entrainé, durant le mois de décembre 2017, une mobilisation rapide et remarquable de plusieurs centaines de milliers de lycéens et étudiants dans les grandes villes kabyles et une petite mobilisation dans la ville de Batna. Alors que le combat amazighiste paraissait avoir pris fin, il s’est une nouvelle fois réincarné dans  une nouvelle génération. Dans un contexte de mobilisation forte, avec des protagonistes militants et politiques nouveaux, il est probable que l’entourage de Bouteflika et d’autres instances de décision ont considéré que la prudence exigeait de maintenir l’essentiel de la doctrine de l’État en offrant quelques compensations symboliques aux amazighistes.


Quelle est la place des indépendantistes en Kabylie ?


Justement, on peut raisonnablement soutenir que l’agitation des indépendantistes kabyles durant ces dernières années a joué un rôle déterminant dans la volonté relative d’apaisement que le gouvernent algérien a exprimée ces dernières semaines. Le MAK (NDLR : Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie) est passé du statut de groupuscule présenté comme extrémiste, vilipendé par plusieurs journaux, et même par certains militants amazighistes, à celui de protagoniste dans la préservation du combat amazighiste. Selon ce que j’ai pu observer sur le terrain kabyle, les idées indépendantistes ne sont pas majoritaires, mais il est difficile de se prononcer de façon assurée sur ce point dans la mesure où i ln’ y a pas d’enquête quantitative menée sur ce thème.


En revanche, une affirmation identitaire plus ouvertement kabyliste s’affirme de plus en plus nettement parmi la jeunesse kabyle. Pour des raisons complexes, historiques, sociologiques, aussi à cause d’une forte imprégnation du nationalisme algérien dans les masses, il me semble que les Kabyles ne sont pas majoritairement indépendantistes, toutefois beaucoup sont fédéralistes.


J’ai constaté que même chez des militants proches des partis officiels, le fédéralisme n’est pas un tabou comme l’est l’indépendantisme. La totalité des individus avec qui j’ai pu discuter de l’avenir de l’Algérie depuis une dizaine d’années soutiennent l’idée d’un État fédéral. Même si le MAK n’est pas encore une organisation de masse, il est la force qui, parvenant à réunir le plus de monde à la célébration du printemps amazigh, progresse.


La diffusion de ses idées se rencontre principalement dans le milieu lycéen et étudiant en Kabylie (avec une minorité d’ouvriers ou de sans-emplois) et dans les milieux de l’immigration kabyle en France et au Canada. Mais, à ma connaissance, il n’est pas possible de quantifier le nombre de sympathisants qui adhèrent au programme MAK.


Les militants de la cause kabyle se plaignent du gouvernement algérien. Ils parlent de nombreuses discriminations….



Que ce soit au Maroc, comme l’attestent les divers soulèvements du Rif ou en Kabylie, les discriminations sont de plusieurs ordres. Si les populations algériennes subissent dans leur ensemble la rigueur économique, un appauvrissement nuancé de diverses réussites individuelles et la dégradation du niveau scolaire, celles et ceux qui sont attachés à la civilisation amazighe subissent une épreuve supplémentaire.


Le Maroc et l'Algérie acceptent la culture amazighe comme un résidu folklorique. Les officiels de ces pays peuvent même célébrer des pratiques et des traditions apparemment inoffensives. Ils peuvent aussi célébrer des anciens opposants qui considèrent que les concessions de l’État sont des victoires décisives pour Tamazight.


En revanche, ces mêmes États refusent tamazight comme civilisation vivante, enracinée linguistiquement, spirituellement, anthropologiquement pourrais-je dire, en dehors des repères de la civilisation arabo-islamique. Dans un tel contexte, il faut accorder crédit aux prévisions de plusieurs instances internationales qui annoncent un péril mortel pour la civilisation amazighe à l’échelle de cinquante ans. 



Que demandent exactement les militants kabyles ?



Le milieu militant kabyle est traversé de fortes divergences. Entre ceux qui adhèrent à l’État-nation, qui ne contestent pas l’arabo-islamité tout en étant amazighistes, et qui sont nombreux ; ceux qui sont dans une perspective d’État fédéral mais n’ont pas su s’organiser ; ceux qui travaillent à la création d’un État kabyle et élargissent la sympathie qu’ils suscitent, il est difficile de restituer toute la variété des opinions et des projets.


Cependant, une chose est certaine : malgré les divergences des militants organisés, en Kabylie, comme au Maroc et en Libye, même avec maladresse, même avec quelques différences dans leurs revendications, les amazighistes, depuis les années 40 ont changé l’histoire. Il leur reste à devenir les vainqueurs de l’Histoire pour écrire la leur et celle des autres.


Propos recueillis par Nadir Dendoune