Medialab 93, agent d’influence des quartiers
Unique en France, ouvert il y a tout juste un an, le lieu de coworking “incubateur coopératif des jeunes créatifs urbains en Seine-Saint-Denis”, offre un indispensable espace partagé d’expression et d’influence des quartiers populaires.
C’est le long du canal de l’Ourcq, côté Seine-Saint-Denis, que s’élève l’ancien bâtiment des Magasins généraux, rénové par le principal occupant : l’une des agences de publicité les plus tendances du pays, BETC. Mais au cœur des 20 000 m² réhabilités par la boîte de com’ branchée, subsiste un village d’irrésistibles militants modernes : Le MédiaLab93.
Au deuxième étage de la bâtisse, oscillant entre une ambiance brute d’usine et le mobilier moderne, entouré de larges baies vitrées design et d’espaces extérieurs verdoyants, 640 m² ont été réservés pour faire émerger les talents des quartiers. Ouvert depuis à peine un an, l’espace accueille 45 résidents permanents, répartis dans dix structures, une vingtaine de coworkers individuels ainsi qu’une vingtaine de jeunes qui suivent les ateliers proposés par les acteurs locaux. Dont des salariés de l’agence BETC, qui œuvrent autour des stratégies de marketing, de l’image de marque, etc. En parallèle, Le MédiaLab93 fait aussi office de lieu d’incubation pour de jeunes entrepreneurs, accompagnés dans le développement de leur structure.
Une prestigieuse agence de pub comme socle
“Depuis deux mois, on est à 100 % de remplissage, s’enorgueillit Erwan Ruty, le directeur du MédiaLab93. On organise la cohabitation de structures pérennes et d’individus plus ‘fragiles’, souvent issus des quartiers. Ce qui permet ainsi à chacun de profiter des expériences et des réseaux des autres.” Pour être accueillis en résidence, il faut travailler sur des thématiques médias, culture numérique ou encore sur l’aide aux banlieues, etc. Le prix d’occupation est adapté aux structures et à leurs moyens. Ici, tout est discutable et la porte est toujours ouverte. “Il y a une telle précarisation des médias, doublée d’un effondrement des frontières des métiers dans la presse qu’on a souhaité favoriser la réunion des diverses composantes. On s’adapte à l’ubérisation de la société”, détaille Erwan Ruty.
Pour ce faire, les structures sur place organisent des projets en lien avec les quartiers. C’est le cas d’Euractiv, réseau de médias européens arrivé depuis le début de l’aventure. “Avant, nous étions dans le VIIIe arrondissement, en face de l’Elysée, et on travaillait beaucoup avec les jeunes de Sciences Po…, se souvient Cécile barbière, journaliste à Euractiv. Le fait d’être dans le 93 nous rapproche de cette population. Maintenant, on monte des projets avec des structures éducatives locales autour de la question européenne. Par exemple ‘L’Europe en banlieue’, financé par la Commission européenne. Nous sommes allés au lycée Simone-Veil, à Pantin, et nous allons nous rendre à l’université de Saint-Denis pour parler biodiversité en faisant découvrir aux élèves les espèces saisies par les douanes”, poursuit-elle.
La présence de structures diverses au sein d’un même espace ouvre aussi des possibilités de collaboration entre elles. Depuis 2015, la Zone d’expression prioritaire (ZEP), un dispositif média d’accompagnement pour les 15-25 ans, a pour objectif “de faire parler les gens, sans filtre journalistique, par le biais d’ateliers d’écritures, notamment les jeunes qui ne se sentent pas légitimes de prendre la parole, explique Emmanuel Vaillant, directeur de la ZEP. Cela a forcément du sens dans le 93, où on intervient dans les écoles, les associations, à l’université, dans les écoles de la seconde chance, les missions locales… On souhaite trouver des points d’ancrage avec les structures présentes au MédiaLab. On réfléchit par exemple à un projet avec Rêv’Elles et ses jeunes filles.” Rêv’Elles, c’est une association qui propose des programmes innovants d’aide à l’orientation à destination de jeunes femmes des milieux populaires. La ZEP s’est installée au sein du MédiaLab, mais on peut aussi y croiser la Fédération des jeunes producteurs indépendants (FJPI) ou encore Sudu Connexion – une société de distribution en charge de promouvoir le cinéma africain –, des journalistes du magazine Fumigène, des geeks de l’école Simplon, dont l’objectif est de rendre accessible à un public fragilisé le codage informatique. Un véritable nid à innovations que Le MédiaLab couve en organisant des événements créatifs qui font appel au savoir-faire et aux réseaux de chacun. Pour preuve, le Kino 93 : un challenge de trois jours qui s’est déroulé en octobre dans le quartier des Quatre-Chemins, à Pantin. Pas moins de 180 réalisateurs, comédiens et acteurs du monde de l’audiovisuel ont produit 72 films autour du quartier. En a émergé la volonté de créer un collectif pour impliquer les habitants des quartiers afin de les intéresser à la thématique de l’audiovisuel. Autre projet en cours : le Game Jam. Du 9 au 11 février, un groupe de réalisateurs de jeux vidéo va développer des prototypes de jeux en lien avec les cultures urbaines.
La créativité de toute part
Et Le MédiaLab, considéré désormais comme un espace fécond de créativité, attire les regards des institutionnels : Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au Numérique s’intéresse au projet. Même si la décision d’évincer Rokhaya Diallo du Conseil national du numérique (CNNum) a fait grincer des dents. Car ici, on ne badine pas avec l’engagement. “On a toujours fait du plaidoyer une sorte de lobbying, admet Erwan Ruty, également fondateur, rédacteur en chef de Presse & Cité – le journal des banlieues – et premier sociétaire de la coopérative du MédiaLab. On a vocation à diffuser des idées, à mettre en lumière des personnalités, des valeurs, des expériences et des parcours… C’est pour cela qu’à Presse & Cité, par exemple, on a toujours rencontré les membres du gouvernement. Et ce depuis Nicolas Sarkozy.” Pas de hasard si le projet du MédiaLab a été réfléchi avec des acteurs engagés, notamment Nordine Nabili (ancien directeur du Bondyblog), Jérôme Bouvier (ex-Radio France) et Farid Mebarki (président de Presse & Cité). L’initiative se vit comme un véritable “soft power” de la banlieue qui mise sur la rencontre entre le monde huppé d’une des plus branchée des agences de publicité, BETC, et le vivier à tendances que sont les quartiers populaires.
Si Le MédiaLab s’acquitte d’un loyer sans tarif préférentiel pour ses locaux à BETC, chacun tente de trouver un intérêt particulier à cette proximité. L’agence dispose à proximité d’un générateur de tendances, proche du terrain, en échange de quoi, Le MédiaLab et ses acteurs tentent d’y trouver un vecteur de communication et un moyen d’influer sur la société. En somme, rien ne se fait vraiment sans les banlieues.
MAGAZINE FEVRIER 2018