Le combat d’une mère pour son fils incarcéré injustement en Malaisie
«Je crois encore parfois que ce n'est pas arrivé et que tout ceci a été un rêve ». Ses mots sont ceux de Farida*, une Française habitante de la région parisienne, toujours sous le choc, deux mois après les faits. Son calvaire commence le 24 septembre dernier, quand son fils Samir, mais aussi quatre Français, un Malaisien, un Américain et un Yéménite sont arrêtés par la police dans l’Etat de Perlis, au nord de la Malaisie.
La police leur reproche de fréquenter le centre Perlis, une école coranique. Sur place, les médias malaisiens présentent ces arrestations comme un coup de filet « antiterroriste » contre des hommes « liés à l’Etat islamique », issus d’un «centre salafiste jihadiste».
Farida réfute en bloc ces accusations. « C’est du n’importe quoi. Mon fils est religieux mais il a toujours dénoncé les attentats. Jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas vraiment ce qui est reproché à Samir et aux autres. Aucune charge n’a été retenue contre eux, que ce soit en Malaisie ou en France. Son seul crime est d’avoir pris des cours dans cette école », témoigne écœurée la maman.
Interrogées par les journaux malaisiens, les autorités religieuses locales assurent pourtant que le centre de Perlis n’a aucun lien avec le terrorisme.
Comme d’autres Français avant lui, Samir part en Malaisie pour apprendre l’islam. La première fois, en 2014. « Il était parti là-bas parce qu’il voulait mieux comprendre sa religion », explique Farida. « Quand son visa était périmé, il sortait du pays pour aller en Thaïlande et revenait en Malaisie », continue-t-elle.
En mars 2018, Samir se marie avec une Malaisienne. « Il était intégré et très heureux là-bas. Le lien avec mon fils n’a jamais été rompu : on s’appelait tous les deux jours », rappelle la maman. « Jamais, je n’aurais imaginé ce qui allait arriver ».
Le 24 septembre, la police débarque en force au domicile de son fils, « cassant la porte de l'habitation », dixit Farida.
« A aucun moment, ils ont dit que c’était la police. Ma belle-fille était enceinte. Suite à cette intervention, elle a fait une fausse couche », raconte-t-elle en colère. Emmené dans une prison de Kuala Lumpur, Samir sera détenu comme les autres prisonniers, dans le cadre de la « loi Sosma sur la sécurité de l’État » qui permet une garde-à-vue de vingt-huit jours sans avocat.
Lors des interrogatoires, Samir apprend que la police malaisienne aurait agi sous ordre des autorités françaises. Celle-ci se défend effectivement d’être à l’initiative de l'arrestation et l'impute à un « signalement de services étrangers ».
Après plus de deux semaines de détention, 4 des 5 prisonniers français sont emmenés en van à Perlis, à plus de six heures de route de la capitale Kuala Lumpur. Selon Farida, « la police voulait vérifier les livres qu’ils étudiaient ». Le 11 octobre, ils reprennent la route pour Kuala Lumpur.
« Mon fils m’a dit que le conducteur roulait beaucoup trop vite et qu’avec les autres prisonniers, il lui demandait de ralentir mais il n’écoutait pas », souffle dépitée Farida.
L’accident intervient après qu’un pneu éclate.
Mickael, un Français qui vivait en Malaisie depuis six ans est gravement blessé. Il meurt quelques heures plus tard à l’hôpital. Les autres ont eu plus de « chance ». « Comme les autres, mon fils était menotté mais il n’était pas attaché. Au moment de l’accident, il a été éjecté et a fini dans un ruisseau. C’est un des prisonniers qui lui a sauvé la vie », explique la mère.
Inconscient, Samir se réveillera dans la soirée à l’hôpital de Kuala Lumpur. « On aurait pu le laisser à l’hôpital. Au lieu de cela, on lui a injecté deux piqûres contre la douleur puis il a été ramené au cahot », s’énerve la maman.
Le 17 octobre, Farida s’envole pour la Malaisie. Un voyage qu’elle envisageait de faire depuis le début de l’incarcération de son fils, mais « les autorités françaises me l’ont déconseillé », lâche-t-elle dépitée. « Elles me disaient ‘Ils vont être expulsés, ne venez pas’ », se souvient Farida.
Remontée contre les autorités françaises, Farida a écrit plusieurs courriers à l’ambassadeur de France en Malaisie. En vain. « Il ne m’a jamais répondu. J’ai fini par avoir la consule. Elle me disait de ne pas m’inquiéter, que mon fils était bien traité. Ce qui était faux ! J’ai appris que Samir dormait par terre sans couverture, sans oreiller, avec la climatisation branchée à fond ».
Au bout du 25e jour d’incarcération et après le terrible accident de van, Samir et ses « collègues » sont remis aux services de l’immigration.
Au centre de rétention où est détenu désormais son fils, Farida découvre un Samir « en piteux état ». « Il ne s’était pas lavé depuis tellement longtemps, son odeur envahissait toute la pièce. Il avait des hématomes un peu partout sur son corps et ses yeux étaient tout rouges », dit elle la voix remplie d’émotion.
Sans procès, sans charges retenues contre eux, les Français sont expulsés vers la France. « Il fallait qu’ils s’en débarrassent au plus vite. Avec la mort de Mickaël, ils devenaient gênants », affirme Farida, persuadée que sans cet affreux accident, « son fils serait toujours en prison en Malaisie ».
« Je suis très triste de ce décès mais je suis soulagée que Samir soit revenu parmi nous », dit elle avec insistance. Et c’est parce qu’elle trouve ce qui est arrivé injuste qu’elle a décidé de témoigner. « Pour l’instant, mon fils préfère garder le silence. Peut-être un jour, il parlera ».
Farida compte bien ne pas en rester là. « Avec mon avocat, nous allons étudier toutes les possibilités. Je ne lâcherai rien », promet Farida.
Joint, le ministère des Affaires étrangères n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.
*Elle souhaite garder l'anonymat