La tribune contre l’antisémitisme fait long feu
Le Parisien a publié le 21 avril le « Manifeste contre le nouvel antisémitisme », signé par 300 personnalités. Ce texte dénonçait l’essor de la violence d'un nouvel antisémitisme en France, lié au développement de l'islamisme. Toutefois, la focalisation sur ce point et le lien établi entre le Coran et l’antisémitisme en France ont fait réagir de nombreuses voix.
« Supercherie », « logique dévastatrice », « ridicule » ou encore « révision historique », les critiques n’ont pas manqué après la parution lundi du « Manifeste contre le nouvel antisémitisme », dont l’auteur, Phillipe Val, a visiblement voulu faire un texte de référence.
Parmi les signataires, on retrouve ainsi l'ancien président Nicolas Sarkozy, les ex-Premiers ministres Manuel Valls, Jean-Pierre Raffarin et Bernard Cazeneuve, des personnalités (Charles Aznavour, Françoise Hardy, Renaud, Gérard Depardieu), des intellectuels (Alain Finkielkraut), mais aussi le controversé imam Hassen Chalghoumi.
Ce texte au ton volontairement anxiogène n’hésite pas à évoquer « une épuration ethnique à bas bruit ». Un phénomène passé sous silence à cause de l’indulgence des autorités françaises envers la radicalisation islamiste, « considérée (…) comme l’expression d’une révolte sociale », selon le texte. L’auteur pointe également l’antisionisme d’une partie de la gauche, qui sert « d’alibi pour transformer les bourreaux des Juifs en victimes de la société » dans un dangereux amalgame entre antisémitisme et antisionisme. Elle serait poussée par sa « bassesse électorale » à la recherche d’un « vote musulman (…) dix fois supérieur au vote juif ».
Plus loin, le manifeste demande « que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques », sans toutefois préciser lesquels.
Réactions multiples
La réaction ne s’est pas fait attendre. Dès le lendemain, une trentaine d’imams ont signé dans Le Monde une tribune intitulée « Nous, imams indignés, sommes prêts à nous mettre au service de notre pays ». Sans citer le texte précédent, ils souhaitent « dénoncer l'exploitation de cette violence », et surtout rappeler que le radicalisme est le fruit de la rencontre entre « une jeunesse naïve, proie facile » et « des idéologues qui exploitent son désarroi ».
« Dire aujourd'hui que le Coran appelle au meurtre, c'est quelque chose de très violent et c'est une erreur monumentale », ajoutent-ils. « Attribuer l'antisémitisme à l'islam est presque un blasphème », s’est indigné le recteur de la grande mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou.
Le groupe Juives et juifs révolutionnaires a aussi exprimé son étonnement et dénoncé un « un double tour de passe-passe ». D’une part le texte effectue une révision historique en effaçant « des siècles de persécutions antisémites » en France et d’autre part en transférant « de la responsabilité historique de l’antisémitisme de l’Europe blanche et chrétienne à “l’islam” et aux “musulmans” ». L’analyse du communiqué rappelle que l’antisémitisme existant dans le monde arabe est d’abord une importation de l’antisémitisme des puissances coloniales. En Algérie par exemple, l’agitation antisémite visait « à opposer juifs et musulmans pour préserver l’ordre colonial », explique l’auteur.
Dans un autre texte, Latifa Ibn Ziaten et Samuel Sandler, parents de victimes musulmanes et juives de Mohamed Merah, dénoncent « la supercherie d’un appel » et notamment « son argumentation particulièrement sensationnaliste et perverse » qui met en concurrence les victimes de l’antisémitisme et celles de l’islamophobie.
Tout aussi critique, le chroniqueur et journaliste Claude Askolovitch trouve dans le manifeste des 300 « une logique dévastatrice ». « Ce texte est glaçant pour la vérité dont il émane comme pour les mensonges qu’il induit », écrit-il avant de se dire horrifié « pour ce qu’il nourrit : une mise en accusation des musulmans de ce pays, réputés étrangers à une véritable identité française, sauf à renoncer à leur dignité ».
Autre personnalité juive indignée par l’appel diffusé dans le Parisien, l’anthropologue et sociologue Nicole Lapierre, explique se sentir pour la première fois obligée de s’exprimer « en tant que juive ». Sans nier la réalité de l’antisémitisme en France, elle rejette le texte, « parce qu’il enrôle le combat contre l’antisémitisme dans une revendication nationaliste et une captation identitaire » et parce qu’il « agite la vieille et dangereuse thématique de la concurrence des victimes ». « Ce face à face mortifère ne peut qu’attiser les peurs et les haines en prétendant les combattre. Le péril est là », conclut-elle.
Rached Cherif
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