Ivry-Sur-Seine : Matoub Lounes aura une rue à son nom
À part la droite qui ne voit en ce projet « aucun intérêt local », tout le monde a voté pour. Ce jeudi 28 juin, le conseil municipal d’Ivry-Sur-Seine (94) a adopté à une large majorité un vœu en faveur de l’attribution d’une rue au nom de Matoub Lounes, cet artiste algérien abattu lâchement le 25 juin 1998 à l’âge de 42 ans, en Kabylie à Tala Bounane, à quelques kilomètres de son village natal.
« Nous venons de célébrer le 20e anniversaire de l’assassinat de cet artiste engagé et il nous a semblé important de saisir cette occasion afin que le Conseil Municipal d’Ivry dans son ensemble puisse honorer sa mémoire, commémorer sa disparition et montrer que 20 ans après, nous ne l’oublions pas ni son œuvre ni les combats qu’il a menés », précise Atef Rhouma, maire adjoint chargé de la petite enfance, membre du collectif Convergence Citoyenne Ivryenne, à l’initiative du projet. « Ivry est une ville cosmopolite avec une communauté kabyle très importante. Mais l’assassinat de Matoub Lounes n’a pas attristé uniquement les Kabyles, voire les Algériens. C’est le monde qui a été touché par sa mort. Sa disparition a attristé toutes celles et tous ceux qui rêvent de paix, d’égalité et de liberté d’expression pour l’Algérie » souligne encore le maire adjoint.
Depuis quelques années, plusieurs associations citoyennes ivryennes demandaient que soit attribué une rue au nom du chanteur. Il y a quelques jours, une pétition avait été déposé auprès de la mairie en ce sens. Elles ont donc obtenu gain de cause. Reste plus qu’à trouver l’endroit et fixer une date. « On espère le faire le plus vite possible, mais il n’est pas question de repabtiser une rue », prévient d’emblée Atef Rhouma. « Nous allons avoir l’embarras du choix avec tous ces projets en cours, tous ces quartiers qui se reconstruisent dans la ville », positivise l’élu.
Il y a vingt ans, le 25 juin 1998, Matoub Lounes, artiste engagé en faveur de la reconnaissance de la culture et de la langue berbère, était assassiné lâchement devant son épouse et de ses deux belles-sœurs. Sur une route de Kabylie, alors qu’il regagne son domicile, son véhicule est attaqué par un groupe de plusieurs hommes. Le chanteur est ensuite extrait de sa voiture et tué à bout portant. Matoub Lounes se savait en danger, mais il n’était pas du genre à se cacher.
Quatre ans avant sa mort en septembre 1994, il est enlevé et séquestré par des membres du GIA (Groupe Islamique Armé). Emprisonné durant 15 jours, il est jugé pour ses chansons et ses prises de position et condamné à mort par le « tribunal » du groupe terroriste. Après une forte mobilisation de la population, il sera finalement libéré. En 1988, en plein soulèvement de la jeunesse algérienne qui entend protester contre la misère, un gendarme lui tire dessus. Cinq balles au total. Après huit mois d’hospitalisation et quatorze opérations chirurgicales, Matoub Lounes réapparaît sur des béquilles, debout, pour un immense concert au stade de Tizi-Ouzou.
« De sa trop courte vie d’artiste, que l’on a voulu faire taire dès ses débuts, il nous reste plus de 230 chansons, en langue berbère, dans lesquelles Lounès Matoub chante l’amour, le déchirement de l’exil, son attachement à la Kabylie, à l’Algérie, à sa culture et à sa langue berbère, mais aussi son opposition aux fondamentalismes religieux et aux dirigeants politiques d’alors à qui il reprochait, entre autres, d’avoir trahi les aspirations du peuple, d’avoir bridé la liberté d’expression et plongé le pays dans le chaos », rappelle Atef Rhouma.
« Il chantait aussi les malaises de la société algérienne, la souffrance des femmes, la jeunesse et ses déboires… mais surtout ses chansons exaltaient la liberté et l’espoir, l’espoir d’une Algérie meilleure, debout et démocratique », embraie ému l’élu.
Vingt ans après sa disparition, les circonstances de sa mort n’ont pas été élucidées. La famille de Matoub Lounes réclame encore aujourd’hui la vérité. Elle demande que toute la lumière soit faite et que les coupables soient jugés.
Nadir Dendoune