Interview de Marwan Muhammad sur la consultation des musulmans

 Interview de Marwan Muhammad sur la consultation des musulmans

Marwan Muhammad


L'ex-porte parole du Collectif Contre l'Islamophobie en France, Marwan Muhammad a lancé le 9 mai une « grande consultation des musulmans ». Le but : redonner la parole aux musulmans sur les sujets les concernant.


Agir, permettre aux citoyens de confession musulmane de se faire entendre sur l’organisation de leur religion et les sujets qui les concernent. C’est tout l’enjeu de « la grande consultation des musulmans » lancée par Marwan Muhammad, ex-porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France. Via le site consultationdesmusulman.fr, tous les musulmans sont invités à répondre à un questionnaire. L’initiateur de cette consultation nous en dit un peu plus.


LCDL : Comment est née l’idée de cette consultation ?


Marwan Muhammad : Chaque conférence, chaque événement public auxquels je participe depuis des années, au moment des questions-réponses il y a systématiquement quelqu'un qui va exprimer de la frustration sur la manière dont les musulmans sont traités sur le plan politique, sont représentés du point de vue organisationnel. Et, à titre personnel, j'ai 39 ans, je suis père de famille et en vingt d'implication jamais je n'ai été consulté une seule fois sur des questions de vie religieuse ou de vie communautaire. Ce besoin est réel et la question était de savoir, que fait-on pour changer les choses. Début février 2018, j'ai commencé à y réfléchir un peu plus sérieusement.


Avez-vous impliqué d’autres acteurs de la communauté musulmane dans ce projet ?


J'essaie de faire un constat juste. Je dis que les gouvernements successifs ont une part de responsabilité, mais nous avons aussi nos responsabilités puisqu'ils se sont servis de certaines fédérations comme d'un relais d'influence pour eux, plutôt qu'outil au service des communautés locales. C'est bien beau de faire un constat mais si nous ne proposons rien à côté, ça ne sert à rien.


J'ai pris mon bâton de pèlerin, j'ai contacté la plupart des associatifs que je connais, des imams, des personnalités du monde artistique, des entrepreneurs, des blogueurs, avec en priorité des gens qui sont sur le terrain, au contact des minorités locales. Je voulais tester l'idée. Nous sommes conscients qu'il y a un problème.


Est-ce que ça vous semble être une bonne idée de consulter les musulmans par la base ?


Tout le monde était unanimement positif. Ils avaient quand même quelques réserves. D'abord ils ne savaient pas ce que ça allait donner. Moi, je n'ai absolument pas peur de ça, j'ai confiance dans les musulmans. Quelles que soient les réponses, il n'y a pas de mauvaises réponses. Il va falloir prendre acte de ça. Deuxième chose, je ne voulais pas placer ça dans un champ conflictuel, de rejet, de mise en cause du CFCM et des fédérations plus traditionnelles. Nous voulons être une force de proposition pour avancer et sonder les premiers concernés et sur cette base que j'ai travaillée. Ce qui m'a facilité le travail c'est aussi que j'ai de bons liens avec à peu près tout le monde. Donc là où parfois, il y a des querelles de chapelles, ou de mosquées, il est plus facile pour moi de leur demander ce qu'ils en pensent.


Certaines critiques concernant la consultation et l’inclusion de tous les musulmans, dont les salafistes, dans une éventuelle nouvelle entité ont commencé à émerger. Que leur répondez-vous ?


Nous sommes très loin du stade où nous fonderions une organisation. Nous sondons les gens. Deuxième chose, quoi qui se décide demain, à mon sens, ça ne doit pas avoir un objectif de représentation ou de représentativité parce que le débat serait biaisé et ultra-politisé. Il vaut mieux se concentrer sur ce que les gens nous dirons. S'ils ont besoin d'actions sociales et culturelles, c'est exactement ce qu'il faut faire. S'ils disent que la lutte contre l'islamophobie c'est quelque chose qui doit remédier à leur problème quotidien d'exclusion ou exactement le contraire, il faut en prendre acte et s'ajuster. Maintenant, pour répondre sur le fond, toutes ces catégories « islamistes, intégristes, frères musulmans, salafistes intégristes », je les prends et je les jette à la poubelle. Je rejette complètement le fait de mettre des gens dans des cases.


Ce qui me convient c'est de savoir si les gens ont des propos ou des actes qui sont délictueux ou non. S'ils ne sont pas dans ce champ-là, je ne vois pas pourquoi on les criminaliserait. Ces expressions sont tellement devenues des accusations pour mettre en cause des gens, qu'à la fin elles ne veulent plus rien dire. Donc je ne rentre pas dans ce débat-là et je dis qu'à partir du moment où une personne se considère ou s'identifie comme musulman, elle fait partie du débat qui concerne les musulmans. Parmi les 5 millions de musulmans aujourd'hui en France, il y a 60% qui ont une façon très individuelle et très personnelle de pratiquer leur religion. Cette diversité-là, il faut en rendre compte. Des gens ont un rapport très distant au religieux, d'autres en ont un très marqué, un rapport individuel ou collectif, très proche des textes ou très proches de leur interprétation, très spirituel ou très factuel, et tout ça, il faut le respecter aussi.


Avez-vous d’ores et déjà une idée de la suite à donner à cette consultation ?


J'ai une bonne idée des recommandations que j'écrirais en tant que musulman lambda. Je veux m'interdire de préempter ce débat, ni en priorisant  la parole de responsables et de leaders communautaires, ni en forçant ou en imposant une vision particulière et je pense que nous allons vraiment avoir de bonnes surprises. Et aujourd'hui, en survolant quelques-uns des premiers questionnaires, dans les questions ouvertes, les gens font des contributions relativement longues, des recommandations très intéressantes. Ce n'est pas juste quantitatif, c'est aussi qualitatif.


J'aimerais bien pousser pour qu'il y ait une meilleure inclusion des femmes et des jeunes. J'aimerais bien pousser pour qu'il y ait bien sûr une partie des gens d'origine maghrébine tout comme des gens d'Afrique subsaharienne, des convertis ou des personnes d'autres origines. J'aimerais bien pousser pour qu'il y ait une approche thématique et plus proche du terrain. Mais, avec mon équipe, je m'attacherai à restituer à la lettre ce que les gens nous dirons et c'est sur cette base qu'on construit. Après il faut voir ça avec beaucoup d'humilité. L'enjeu est d'abord de faire une bonne consultation et après, c'est de restituer tout ça. Ce qui prendra des mois et des mois. Ensuite, s'il y a vraiment matière à, ce que ça suscite un engouement populaire et que les gens prennent en charge eux-mêmes la consultation, là il y aura matière à monter des projets. Mais je ne m'avance pas la-dessus.


A partir de combien de réponses considérerez-vous la consultation comme étant significative ?


A partir de 5000, elle serait relativement bien suivie et informative. A partir de 10 000, elle serait significative. Mais à partir de 20 000 nous rentrons dans des ampleurs qui sont importantes, la consultation aurait, pour le coup, une portée très marquée. Si j'ai choisi le concept de consultation c'est parce que pour moi ce n'est ni une enquête, ni un sondage. Au sens strictement méthodologique du terme, il y aurait beaucoup de choses à améliorer pour que ça ait cette validité scientifique, une portée normative, représentative et ainsi de suite.


J'aimerais que ça dépasse les 10 000. Nous nous étions donnés un mois pour arriver à ce résultat, non seulement en ligne mais aussi sur le terrain, dans les mosquées et ainsi de suite. Mais là nous sommes dépassés par l'engouement autour de la consultation. Aujourd'hui (9 mai) le site a été pris d'assaut et saturé toute la journée, en même pas une journée, nous dépassons les 2200, 2300 réponses. Ça a presque fait sauter notre site et nous sommes obligés de monter sur des serveurs plus puissants. Et nous n'en sommes qu'au jour un de la consultation. Bon esprit, bonne dynamique, nous restons très humbles et très patients là-dessus.


Le but est-il que la voix des musulmans ait plus de poids auprès du gouvernement ?


Pour moi ce qui compte c'est ce que pensent les gens qui répondent et c'est sur cette base-là que je construis. Le logiciel où on essaie de plaire au gouvernement absolument et on essaie de se faire inviter à l'Elysée pour avoir un dîner ou la légion d'honneur ou autre, ce logiciel, pour moi, il est périmé. Je ne cherche pas cette reconnaissance-là, ni la plupart des gens que je consulte. Mais par contre, ce qui est important c'est que le travail qui sera construit demain soit utile au plus grand nombre. Et la responsabilité des pouvoirs publics est de prendre acte de ça.


Que ce soit sur la question musulmane ou les autres questions, il y a une vraie interrogation du point de vue des pouvoirs publics. Est-ce qu'ils vont être, comme disait Macron, sur le logiciel de l'ancien monde et de l'ancien temps pour imposer par le fait du prince la manière dont les choses vont se dérouler ou est-ce qu'on est capable de prendre acte de la diversité d'opinions et des nouvelles formes de mobilisation qui existent sur le terrain ? A ce moment-là nous sommes dans un rapport de pure égalité sur un plan citoyen.


C'est aussi ça une démocratie, c'est être capable de dire que je ne contrôle pas tout mais que je fais confiance à mes concitoyens. Et lorsque les citoyens de confession musulmane ont des idées et des projets, je suis capable de respecter ça parce que c'est leur autonomie et leur liberté la plus fondamentale. C'est ça que j'attends d'un gouvernement. Ensuite, à l'issue de la consultation, restituer les résultats, d'abord en direction des gens qui ont répondu et, ensuite, en direction des pouvoirs publics. Et ce sera à eux de savoir s'ils ont envie de soutenir cette démarche ou pas. Nous allons être dans une nouvelle page de l'histoire. Soit ils restent sur leur ancien logiciel, auquel cas les gens pourront avancer par eux-mêmes puisqu'ils ont l'autonomie totale de leur projet. On fait l'hypothèse d'un gouvernement qui est à l’écoute et qui est capable de se remettre en question un minimum là-dessus. 


Combien de temps durera cette consultation ?


Idéalement ce serait bien que le dispositif reste ouvert jusqu'à mi-juin. Après il faut compter tout l'été pour analyser, dépouiller, restituer le contenu pour avoir un minimum de conclusions, de recommandations et de feuilles de route à la rentrée.


Propos recueillis par Charly Célinain