Havre de beauté pour les plus démunies
L’Institut Joséphine accueille les femmes en difficulté. Elles s’y font coiffer, maquiller, soigner. Une façon de retrouver l’estime de soi indispensable pour mener leurs combats. Un lieu de sérénité, où les précaires renouent avec leur féminité.
Derrière la vitrine du 28, rue de la Charbonnière, à deux pas du métro Barbès-Rochechouart, dans le nord de Paris, Samia, la petite trentaine, est assise devant un miroir dans le fond de l’alcôve colorée. Ses cheveux sont parsemés de petites feuilles d’aluminium, utilisées pour blondir des mèches. Sans faire de bruit, elle attend son passage au rinçage. “C’est mon assistante sociale qui m’a parlé de l’Institut Joséphine, explique la jeune femme, une pointe de fragilité dans la voix et les yeux humides. Samia est hébergée par l’association Arfog-Lafayette, qui accueille les femmes victimes de violences conjugales. “J’ai eu des problèmes avec mon mari…”, dit-elle doucement, comme une confidence, avant de reprendre : “C’est la première fois que je viens ici. J’avais envie de changer de tête. Ma voisine m’a fait des mèches, mais ça a brulé mes cheveux, j’ai dû coupé la longueur. Je suis venue pour rattraper ça…” Claire, coiffeuse bénévole, l’accompagne jusqu’au bac de rinçage. Samia s’installe, ferme les yeux et se laisse aller aux lents massages de la professionnelle qui travaille le reste du temps chez Franck Provost. “Ici, on n’est pas sur un rythme commercial, comme en salon classique, on prend le temps”, détaille Claire.
”Une bienveillance silencieuse, sans jugement”
L’Institut Joséphine, créé en 2006 par Lucia Iraci, coiffeuse de renom, accueille les femmes en difficultés pour les réconcilier avec leur féminité, retrouver confiance en elles et reprendre leur vie en main. Au départ, Lucia Iraci a d’abord accueilli ces femmes dans son salon de Saint-Germain-des-Prés, avant, en 2011, d’installer un espace dédié et une structure plus
évoluée dans le XVIIIe arrondissement parisien. “Toucher les cheveux, c’est comme une caresse douce, une écoute et une bienveillance silencieuse sans jugement, explique Lucia Iraci. On écoute dans le regard. Ici, le suivi dure un an. C’est le temps pour redevenir actrice de sa vie, prendre confiance. On assure la coiffure, l’esthétique, le dressing, des conseils en image, on pratique la sophrologie, la réflexologie et la psychologie …” Une prise en charge complète dans ce lieu “dédié” aux femmes, et qui s’intègre à un parcours de réinsertion sociale. “En 2017, nous avons reçu 650 femmes.”
Le salon accueille de 8 à 10 personnes par jour
Elles sont toutes envoyées par différentes structures sociales ou par des associations, explique Nadège Moniez, responsable du salon solidaire. Après un passage à vide en 2016, l’association a rejoint le Groupe SOS, qui lutte contre l’exclusion, et se réorganise autour d’une équipe renforcée qui permet d’accueillir “8 à 10 personnes par jour, parfois sans rendez-vous, car les personnes en difficulté ont du mal à se mobiliser, à être à l’heure… ça fait partie de la précarité. On propose donc une certaine souplesse, même si on s’attache à dire aux femmes qu’il faut nous prévenir en cas d’absence.” Et 70% des femmes reçues sont seules, 30 % d’entre elles avec enfant(s). La moitié sont au RSA et 25% sans aucune ressource… “Ce pourcentage de femmes en situation précaire est alarmant : elles sont les plus touchées, confirme Lucia Iraci. On leur demande beaucoup de chose dans notre société, nous devons leur permettre de conserver une dignité. C’est très important quand on ne va pas bien de retrouver l’estime de soi. Je suis une faiseuse de beauté, c’est mon métier. Or, se sentir femme à nouveau, avoir la possibilité d’être comme les autres, c’est primordial.”
Pendant que Samia se détend, Christine s’installe, venue noircir ses racines blanchies par l’âge : “C’est une association qui m’a conseillé de venir ici. On m’a dit que c’était un salon qui aidait les femmes à être coquette. C’est important la féminité : ça donne du punch.” Melissa, une coiffeuse bénévole en réinsertion, s’active alors que le reste de l’équipe de l’institut s’affaire à ranger un stock de produits envoyé par Yves Rocher. Ils seront distribués aux femmes prises en charge. Dans le dressing, des vêtements sont soigneusement pendus, des accessoires – lunettes, colliers, bijoux – accessibles à la vente ou au prêt. Pour quelques euros, les femmes peuvent être relookées grâce aux nombreux sponsors : L’Oréal, Sisley, Caroll… Chacun participe à son niveau.
Trois euros symboliques
Brushing terminé, Samia affiche un sourire jusqu’aux oreilles. “Ce sont vraiment des professionnelles”, lance-t-elle, des étoiles dans les yeux. Impeccablement coiffée, la jeune femme s’acquitte des trois euros symboliques pour l’accès au salon et cale un rendez-vous la semaine suivante pour des soins esthétiques. “C’est souvent par la coiffure et l’esthétique que les femmes découvrent les autres possibilités du salon qui ne lui coûteront pas plus cher”, explique Nadège Moniez. Le tarif a été instauré pour créer une relation de “cliente” avec ces femmes qui reprennent ainsi leur place dans la société, à l’identique de celle des autres femmes, même si chaque soin est adapté à la fragilité des profils. C’est le cas de la socio-esthétique : “Un soin support qui fait de l’esthétique un outil, une passerelle avec les milieux plus médicalisés ou sociaux, explique Rachel, socio-esthéticienne. Il y a des problèmes de peau qui sont typiques de certaines situations sociales… Il s’agit pour nous d’envisager la personne dans sa globalité pour lui apporter les soins et l’attention adéquats.” Qui plus est, la question de la transmission du savoir est au centre des préoccupations de l’équipe : créer ses propres produits, faire soi-même, reprendre la main sur son bien-être et, par conséquent, sur sa vie. Samia passe le pas de la porte, toujours fermée de l’intérieur pour maintenir une ambiance de sérénité et de confidentialité. Elle arbore un sourire confiant. Elle peut se projeter de nouveau dans sa vie, la tête haute.
MAGAZINE MARS 2018