Galina Elbaz : « Les réseaux sociaux deviennent un réservoir de haine »

 Galina Elbaz : « Les réseaux sociaux deviennent un réservoir de haine »

Crédit photo : Damien Lefauconnier


Cette pénaliste parisienne enfile régulièrement sa robe d’avocat pour défendre bénévolement des associations antiracistes. Depuis 2008, elle a obtenu une cinquantaine de condamnations. Son principal terrain d’investigation : internet, à commencer par Facebook et Twitter.


Quel est votre champ d’action ?


Aujourd’hui, les propos racistes sont principalement proférés par le biais des réseaux sociaux, qui deviennent un vrai réservoir de haine. Sur les comptes Twitter, Facebook, sur les pages YouTube, Google, il y a une floraison raciste, antisémite, d’incitation à la haine, parfois même d’actes incitatifs aux actes de terrorisme. J’interviens régulièrement pour la commission juridique de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), une association pionnière dans la lutte contre ces abus.


 


Qui sont ces internautes que vous poursuivez ?


Il y a des leaders d’opinion racistes, très suivis, et qui ont une importante viralité : Alain Soral (idéologue proche des idées de l'extrême droite et du Front National, ndlr), Dieudonné M'bala M'bala ou encore Henry de Lesquen, le patron de Radio Courtoisie, proche des mouvements d’extrême droite, qui s’est construit depuis trois ans une identité extrêmement suivie. Son compte Twitter compte entre 10 000 et 15 000 abonnés, chaque post sur sa page Facebook récolte 400 ou 500 likes, et il est très prolixe ! Ses propos frôlent la caricature. En décembre 2015, il a notamment écrit sur Twitter : “Centrée sur le rythme, la musique nègre s’adresse au cerveau reptilien.” Quelques mois plus tard, il s’en est pris aux juifs et à Simone Veil : “Je suis émerveillé de la longévité des ‘rescapés de la Shoah’ qui sont morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées ? (…) La plantureuse S. Veil (…) a 88 ans. A ma connaissance, elle va bien”. Pour ces propos, il a été condamné pour négationnisme. En juillet 2016, il a aussi taclé le foot français : “Le coefficient de blancheur des équipes de balle à pied – il refuse les anglicismes ! – contribue au grand remplacement qui est déjà accompli dans l’équipe de France”. Cette phrase lui a valu une condamnation pour incitation à la haine raciale. Pour l’ensemble de ces tweets, il a été condamné le 25 janvier 2017 à 16 000 euros d’amende.


 


Quel est le point commun entre toutes ces personnes ?


Presque toutes prétendent tenir un rôle politique, à tous les niveaux : municipal, régional ou local (animation de collectif). L’intérêt d’obtenir des condamnations pénales est d’entacher ce parcours politique. L’inéligibilité n’est jamais ordonnée. A la Licra, nous militons pour que cela soit automatique. D’autres, de sinistres inconnus, vont se construire une carrière de raciste et de néonazi en ligne par les phénomènes de viralité. C’est une façon pour eux d’exister.


 


Comment procédez-vous pour les repérer et les faire condamner ?


Je ne suis pas enquêtrice, certes, mais je suis citoyenne. Je suis les comptes Twitter ou Facebook de ces personnes, sans m’en cacher. Je regarde les commentaires et la viralité de leurs tweets : certains posts atteignent 1 000 likes ! Normalement, ces propos mis en ligne devraient être interdits, car il y a des chartes éthiques, juridiques et une législation : la LCEN (Loi pour la confiance et l’égalité numérique). Les opérateurs d’internet doivent contrôler le contenu de leurs pages et mettre en place des outils de signalement des propos illicites. L'hébergeur est tenu de fermer le compte en question ou de supprimer le tweet. Le problème est que Twitter est soumis à la législation américaine, et la liberté d’expression à l’américaine permet de tout dire.


 


Même si le propos est tenu sur le territoire français ?


Twitter refuse l’application de la loi française. Pour eux, seul s’applique le Premier Amendement de la Constitution américaine (“nul n’est susceptible de pouvoir être limité dans sa liberté d’expression”, ndlr). Notre travail est de développer un partenariat avec les services juridiques des grands opérateurs internet. Quand on leur signale des contenus, ils sont plus vigilants, mais Twitter, par exemple, a un taux de suppression des contenus très bas, de l’ordre de 1 % des signalements faits par les associations antiracistes. Facebook est un peu plus regardant. Nous sommes des juristes, notre travail est de trouver des axes de prévention, c’est-à-dire d’empêcher que ces discours puissent être publiés, de tout mettre en œuvre pour qu’ils soient supprimés et de les faire sanctionner en saisissant le procureur de la République.


 


Quelques exemples de personnes condamnées pour leurs propos ?


En 2009, au nom du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), nous avons engagé une procédure contre Alexandre Gabriac, fondateur des ex-Jeunesses nationalistes, ancien membre du FN et plus jeune conseiller Rhône-Alpes de France. Il a été condamné à douze mois de prison avec sursis pour violence à caractère raciste lors d’une rencontre au Stade de France. Avec des amis, il avait violenté une personne d’origine maghrébine ; ils avaient aussi fait des saluts nazis. Un autre exemple : le parfumeur Jean-Paul Guerlain, qui avait déclaré en octobre 2010 au JT de France 2 : “Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours vraiment travaillé, enfin…” Nous avons porté plainte pour injure raciale. Il a été condamné à une amende de 6 000 euros. Je peux aussi citer Jérôme Bourbon, le directeur du magazine Rivarol, une institution de la presse d’extrême droite. Il est très souvent condamné. En 2014, il avait parlé de “l’insupportable police juive de la pensée”, dit que “la France [devenait] un territoire de plus en plus occupé par le sionisme” et que “le Conseil d’Etat [était] un tribunal rabbinique.” Il a reçu une amende de 2 000 euros pour incitation à la haine raciale.


 


Internet crée-t-il une nouvelle forme de racisme ?


Oui, c’est le même phénomène que tous ces gens convertis en chroniqueurs politiques sur Facebook : ils vivent en vase clos, dans leur communauté d’intérêt. Ils sont constamment dans leur délire, dans l’entre-soi raciste, d’où une banalisation des propos. Nous faisons un travail de fourmi. Quand quelqu’un poste une vidéo néo-nazie, il y a de fortes chances qu’il récidive le lendemain, mais on ne va pas lui laisser le dernier mot : il faut lui rendre la vie dure. Il y a toujours une utilité à poursuivre en justice. 


MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017