Séisme du Haouz – Merci à tous

 Séisme du Haouz – Merci à tous

Village de Talat N’Yaaqoub – Guillaume Pinon / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Merci au roi, merci d’abord au chef d’Etat qui reste le garant de la  bonne marche des opérations, merci aussi à l’homme qui sommeille en lui, celui qui se soucie réellement des petites gens, merci à Terrab qui a mis à disposition ses équipes pour déblayer les routes, construire des écoles, merci à ces centaines d’agents d’autorité qui n’ont pas fermé l’œil depuis le 8 septembre, merci à beaucoup d’autres anonymes comme Dominique qui, lui, n’hésite pas dormir sur place, merci à Mehdi qui sollicite sans arrêt ses amis MRE pour donner, ramasser et se déplacer ensuite sur place, merci à Amine, qui a tout de suite dit oui, merci à la sœur de Hassan qui n’a pas hésité à enfourcher son 4×4 pour braver les pistes dangereuses de la montagne, merci encore à Hamid, exploitant agricole en Espagne qui a avalé des milliers de kilomètres pour monter des tentes achetées à l’occasion, merci à tous ces milliers de citoyens lambda rencontrés sur la route, chargés de simples petites choses et pourtant indispensables à la survie des populations coincées entre les ruines de leur domicile et les décombres jonchant les chemins escarpés.

Donner, recevoir, remercier, s’il fallait remercier tous ces élans spontanés même si on a souvent du mal à remercier et, surtout, à remercier d’une façon appropriée, on ne pourra jamais le faire correctement. N’empêche, il s’agit là bien d’un merci qui nous vient vraiment du cœur, car ces comportements vertueux, spontanés, de millions de Marocains et d’autres nationalités ont fini par nous convaincre que nous avons bien reçu le signal qui nous est envoyé ici. Ce n’était pas la moindre des choses, ces gens-là n’ont pas fait que leur devoir, personne d’ailleurs ne leur a rien demandé, il ont juste répondu à l’appel du cœur et, c’est en cela que la leçon qu’ils nous ont donnée est forte.

Cette gratitude possède donc ici une signification précise qui est celle de témoigner de notre reconnaissance, d’estimer à sa juste valeur le bien qu’ils nous ont fait, celui aussi de reconnaître enfin le droit d’autrui sur nous. L’exigence de sortir de sa zone de confort pour mettre la main à la pâte, à moins de partager un gîte et un couvert modestes, voire même misérables, avec les intéressés, ce que font jusqu’à aujourd’hui, bien des volontaires engagés spontanément dans la course contre le temps pour prendre de vitesse la saison froide qui avance à grands pas.

« Si vous prêtez à Dieu un beau prêt, Il vous le doublera ; Il vous pardonnera. — Dieu est Reconnaissant et Sage. » Est-ce que Dieu a besoin de nous pour lui prêter nos bonnes actions ? Bien sûr que non ! De même, ces personnes engagées auprès de « leurs frères » dans les décombres de la tragédie du Haouz n’ont pas besoin de notre reconnaissance mais cela ne nous empêche pas d’interroger le sens véritable de ces intelligences mises au service de l’autre, ces pensées focalisées sur le bien-être des sinistrés, l’affection portée à ces inconnus, ce sentiment de compassion envers des êtres qui ont tout perdu sauf leur dignité, ces regards pleins de tendresse envers ces enfants, orphelins du destin, ces gestes désintéressés envers ces personnes âgées sans force et tout autre bienfait apporté à ces communautés, voilà de quoi remplir les cœurs de gratitude.

Cette reconnaissance qui nous submerge et nous rend à la fois heureux et modeste témoigne de cette simple vérité : en présence de la « force de vivre » de ces populations sinistrées, on se rend compte que tout être humain est acte et don à la fois. Car s’ils ont reçu des dons en nature, des aides en toutes sortes, des bras valides qui sont allés au charbon en dépit de conditions extrêmes, les gens d’ici nous ont donné bien plus : des leçons de courage qui nous ont laissés bouche bée, une capacité de résilience rare avec le sourire en prime.

Qui d’entre nous est prêt à perdre 37 membres de sa famille et continuer de répéter que « telle est la volonté d’Allah » ? Qui peut finir par accepter le deuil de ses petits-enfants, en vous expliquant, l’air entendu et l’air heureux « qu’ils sont là-bas au paradis avec les anges », qui peut encore retrouver la joie de vivre et vous préparer un bon verre de thé sous un abri de fortune en vous souhaitant la bienvenue ? Comment définir cette capacité de résistance de ces personnes face à d’aussi rudes épreuves ? Nous ne sommes pas dans une exaltation théâtrale de l’endurance des héros tirée des pièces de Corneille.

Pourquoi sommes-nous si touchés par cette mobilisation spontanée, ces élans totalement en contradiction avec ce monde sombre, avec ses élites arrogantes, ses vedettes puant l’égoïsme, ces politiques au cynisme sans bornes ? Parce que « rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir », dixit Pascal.

Mais c’est surtout parce qu’il semble que beaucoup de gens interrogés, viennent de comprendre que vivre n’est pas seulement un processus biologique où la recherche du plaisir, l’aspiration au bonheur, ici et maintenant ne sont qu’illusion. Se réaliser en tant qu’être humain passe aussi et peut-être même, incontestablement par la faculté de donner sens à sa vie, agir pour les autres, c’est aussi faire siens leurs soucis, c’est aider à transformer le monde, s’y accomplir en tant qu’être humain.

Maintenant, si cette mobilisation sociale fera date, si nous avons chaleureusement applaudi au pragmatisme des uns, il est de notre devoir de nous défier de cette engeance qui se repaît de la misère des gens comme les vautours se repaissent des dépouilles d’autres animaux.

Face à ces milliers de soldats de l’humanité, se tiennent en embuscade des élus, des ripoux en tout genre, des pillards de guerre, tapis derrière les donneurs d’ordre, lorgnant avec avidité sur les contrats de reconstruction. Déjà, des tensions sont manifestes sur le terrain, les ripoux les plus radicaux piaffant d’impatience. A ces politiques qui voudraient durcir le rapport de force, en tirant la couverture à eux, on sait d’ores et déjà que le Premier ministre ne les suivra pas sur ce terrain et c’est tant mieux.

Sans oublier ceux qui veulent en être sans gaspiller un kopeck, les « militants » du « like », les inconditionnels de TikTok ou les amateurs des live sur Facebook, ceux qui osent encore se faire prendre en photo juchés sur les cadavres des victimes du séisme. « La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme qu’un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs, et les philosophes mêmes en veulent, et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit, et ceux qui les lisent veulent avoir la gloire de les avoir lus, et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront… », dirait encore une fois Pascal.

Nous connaissons la réalité socioéconomique de notre pays et nous n’avons pas d’armes de dissuasion massive mais on mise néanmoins sur la pression citoyenne, pour garder à distance ces politiciens de la dernière heure, pour faire fléchir ces ripoux, l’essentiel, c’est d’empêcher les politiques de récupérer cet élan vivificateur. Il y va de notre avenir, car en tirant les leçons de l’actuelle mobilisation, on pourrait se réconcilier avec le Maroc d’en bas, celui des valeurs, du travail, de l’honnêteté le royaume de l’effort commun, celui qui se reconnaît dans la dignité, la droiture et le contentement des montagnards.

« Gouverner, c’est être dur », répétait, à qui voulait bien l’entendre, le général De Gaulle et la sévérité est aujourd’hui absolument nécessaire pour combattre l’impunité ambiante.

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