Une syndicaliste hospitalière mise à pied pour « climat de crainte »
Il ne fait pas bon d'être lanceur d'alerte dans le milieu hospitalier en ce moment. Pour avoir dénoncé le manque de masques et de test dans son hôpital d'Hautmont dans le Nord, Laetitia Puissant, syndicaliste Sud et membre du CHSCT, s'est vue notifier publiquement sa mise à pied. Raison invoquée : instaure "un climat de crainte" au sein de l'établissement.
En temps normal, les membres du CHSCT (Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail), élus par le personnel, veillent à ce que l'entreprise respecte le travail des salariés et qu'elle leur évite tout risque. En ce qui concerne l'hôpital d'Hautmont dans le Nord, depuis le début de la crise sanitaire, une note de service indique au personnel qu'ils peuvent disposer de 2 masques chirurgicaux par équipe. Assez vite épuisés, ils ont du y renoncer. Une version contestée par la direction qui précise que les soignants disposent de "masques chirurgicaux ou FFP2" depuis le 16 mars 2020 même si elle reconnait que, "comme tous les établissements les stocks sont tendus et que nous recherchons toujours activement à conforter ceux-ci."
Le 1er avril, un cas de suspicion de COVID-19 est détecté dans l'hôpital. Alors que le personnel "commence à avoir peur", Laëtitia Puissant, élue Sud au CHSCT, intervient auprès de la direction. La demande de Laëtitia est somme toute assez simple : elle souhaite que le personnel soignant reçoit des masques et que l'on fasse subir des tests de dépistage généralisés aux patients et aux soignants.
La réponse triviale de la direction tombe par mail le soir même. Il ne compte pas mettre des masques à disposition car ils sont réservés pour ceux qui font des soins aux patients atteints de COVID-19. Pour justifier sa réponse, la direction joint avec ce mail, un protocole du CHRU de Lille qui indique les métiers où l'on doit porter les masques.
Le 2 avril, le syndicat note bien que leur demande est refusée mais que le personnel se réserve le droit d'exercer son droit de retrait et qui s'il y a une deuxième vague de contamination, on saurait qui en serait responsable.
La direction voit rouge. Dans la journée du 2 avril, elle rapporte quelques masques supplémentaires. Le personnel a même droit à des masques FPP2…de 2001, soit périmés ! L'élue choisit de remercier sa direction pour les masques FPP2 périmés mais qu'il serait "judicieux via les réseaux sociaux, de faire un appel aux dons comme de nombreux établissements le font." Ca sera son dernier mail à la direction.
Le Samedi 4 avril 2020, Laëtiita Puissant arrive pour prendre son service à 6h30. Elle se voit refuser l'entrée par la direction et la DRH dans le sas des ambulances. Ils lui indiquent, contrairement aux usages, et publiquement devant ses collègues qui prennent leurs services, qu'elle était mise à pied. Elle est renvoyée chez elle, effondrée.
La notification de la mise à pied qu'elle a reçue en mains propres aujourd'hui est "surrealiste" ; "Une procédure disciplinaire a été mise en oeuvre à votre encontre concernant des faits de menaces et de climat de crainte que vous entretenez au sein de l'établissement."
Les autres syndicats, dont la CGT notamment, ont apporté leurs soutiens à Laëtitia Puissant. Elle a reçu 1300 messages sur les réseaux sociaux. Plusieurs syndicats hospitaliers évoquent la mise "sous pression" des directions quand ils demandent des masques, tests ou matériels.
Dimanche, la direction a fait le tour du personnel pour leur faire signer qu'ils n'avaient jamais manqué de matériel. Leur page internet, indique bien, dans des encarts rouges, qu'il y a un "besoin urgent de matériel."
Dans un communiqué qui nous a été transmis, la direction indique qu'à ce stade, elle dispose de "tout l'équipement adéquat et nécessaire en masques, surblouses, gants, manugel, lunettes et visièresn surchaussures et charlottes." Elle ajoute que le personnel est "testé dés qu'il présente des symptômes." et qu'un "dépistage généralisé à tous les patients et soignants n'est pas justifiée et accessible compte tenu des directives de nos autorités." Si elle dit "comprendre l'inquiétude du personnel", elle se range derrière les consignes établies par les autorités sanitaires s'en prenant tout de même directement à Laëtitia Puissant, en la traitant de fauteur de "trouble et de discrédit" sur leurs actions. Elle affirme même que "la suspension de cet agent n'a aucunement lien avec sa demande de matériel et de tests."
Les syndicats demandent la réintégration de Laëtitia Puissant dans ses fonctions et l'abandon des sanctions. Plusieurs députés, dont Adrien Quatennens se sont saisis de son cas et le syndicat se réserve le droit d'envoyer le cas devant la justice. Une pétition en ligne de soutien à l'aide soignante mise à pied, a déjà rassemblé près de 8700 personnes,
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